Conduite du changement : la posture du coach

Corp Mag Suck

En tant que coachs Lean, il est très fréquent que nous nous retrouvions à travailler avec des équipes qui n’ont rien demandé. Notre rôle est de comprendre comment cette équipe travaille puis l’amener graduellement à adopter de nouvelles pratiques. Lorsque l’on sait combien le travail est un élément structurant de l’identité de chacun, on mesure la violence de la chose.

Aussi la posture que nous adoptons vis-à-vis de cette équipe est une des clefs de la réussite du changement que le dirigeant que nous accompagnons veut nous voir porter.

Au delà des principes essentiels de bonne tenue lors d’une intervention chez un client (politesse, apparence, attitude mesurée, sujets de conversation abordés lors des pauses) cet article a pour objectif de présenter quelques bonnes pratiques et pièges à éviter, pratiques issues de plus de six ans d’accompagnement avec une trentaine d’équipes …

1. Mettre l’équipe en situation d’écoute

Lorsque l’on commence à mener ce genre de mission, on pense souvent qu’il faut dire le maximum de choses dans le but de convaincre l’équipe du bien fondé de notre démarche. On oublie juste que des petits comiques comme nous, l’équipe en a déjà vu passé quelques uns, et que dans les faits il existe déjà tout un passif sur des démarches de changement. Qualité totale, Six Sigma, sans compter la mise en place de nouveaux outils, Workflows ou que sais-je, la panoplie complète des silver bullets qui allaient résoudre tous les problèmes de l’organisation ….

La première chose à faire est donc de mettre l’équipe en situation d’écoute. Cela s’obtient en cessant de parler et orientant plutôt son énergie sur l’écoute active de chaque collaboratrice et collaborateur, en tête-à-tête car les questions ouvertes au groupe entier peuvent amener des situations difficiles à gérer.

Tant que l’on n’a pas laissé un espace essentiel dans lequel chacun peut exprimer son ressenti par rapport à la démarche en cours, et les éventuelles démarches précédentes, la personne n’écoutera pas : ce qu’elle a à dire encombre tant son esprit que cela l’empêche d’écouter. Il s’agit d’un enseignement de Neil Degrasse Tyson le célèbre astro-physicien américain (une citation que je ne retrouve pas, malheureusement).

À ce sujet, il existe un avantage structurel au rôle de coach si on le compare à celui de consultant : le consultant apporte des solutions alors que le coach apporte des questions afin que les solutions émergent des équipes. Une posture que le coach devrait donc adopter plus naturellement.

2. Se taire et observer pour comprendre vraiment le métier de l’équipe

Une fois que l’équipe a pu exprimer ce qu’elle avait à dire et qu’elle nous tolère en son sein, il faut se mettre au boulot, apprendre chaque prénom et observer pour comprendre vraiment l’activité. Qui livre quoi à qui ? Où est la valeur, où sont les gaspillages ? Quels sont les problèmes de qualité ? Quels obstacles empêchent Karim ou Éléonore de mener à bien leur activité ? Quels subterfuges ont-ils trouvé pour le contourner ? Quel geste ou quelle partie de geste n’ont ils pas encore complètement intégrés ? Ont-il compris le pourquoi de cette étape ?

Lors d’échanges avec les collaborateurs, dès lors qu’on illustre nos propos avec des exemples très précis de l’activité, l’équipe verra cela comme une preuve de respect envers son métier et sa complexité. Car dans toute activité que j’ai observée, qu’il s’agisse de l’IT ou des services, il existe une réelle complexité. Il ne s’agit pas d’un stratagème à vocation manipulatrice mais juste d’éclairer la réalité quotidienne de l’équipe et leur montrer que l’on a fait l’effort de comprendre la nature des obstacles qu’ils rencontrent.

3. Éviter les 4 letter words et reconnaître que le changement est difficile

Lorsque l’on a l’habitude de mener des projets de changement avec des équipes, on ne s’en fait plus une montagne et c’est devenu la routine pour nous. On a du coup tendance à perdre de vue qu’il s’agit souvent d’une perspective qui peut susciter de l’appréhension pour celui qui la découvre. Un des pièges est alors de minimiser l’appréhension de l’équipe vis à vis de ce changement. Éviter les 4 letter words est une bonne piste pour éviter ce premier piège.

« Mais c’est facile (easy) vous avez juste besoin (need) de mettre en place cette nouvelle pratique, c’est seulement (only) ça. Vous devez (must) le faire, on ne peut pas (can’t) se satisfaire de la situation actuelle.

Une fois le piège évité, la démarche consiste ensuite à reconnaître devant l’équipe que oui, le changement est difficile. « Personne n’a dit que cela était facile » (comme dirait Coldplay – désolé) est une phrase qui permet là encore de faire montre de respect et de créer du lien avec l’équipe.

4. Éviter le jargon

Lorsque l’on est consultant, on est souvent passionné par son sujet : on en a plein la bouche. Tel livre, telle citation, tel jargon ou tel auteur : on ne peut s’empêcher d’étaler nos connaissances ou nos références. Dans le Lean c’est encore pire : les influences et les termes sont souvent japonais. Et comme me l’a dit un jour Frédéric, développeur ETL de son état : « Mais on n’en n’a rien à faire de tes japonaiseries là, nous on fait de l’informatique en France et pas des voitures au Japon ». Une bonne leçon que mes amis anglo-saxons appellent un reality check.

Du coup je fais attention à éviter le jargon et, tant que possible, à revenir a des terminologies simples et compréhensibles, en français. Comme je ne peux m’empêcher de donner des citations ou des références, je demande la permission à l’équipe, souvent en blaguant (cela devient notre private joke – élément de facilitation culturelle essentiel). L’idée générale est bien de ne pas essayer de les faire venir dans notre vision du monde (le jargon et les différentes expressions en sont des obstacles à leur adhésion) mais de s’installer dans la leur et graduellement, par petits pas, ajouter des principes et pratiques à leur façon de travailler.

5. Ne pas transiger sur les fondamentaux

L’ensemble de ces pratiques peut être ressenti comme une sorte d’édulcoration ou de dilution du changement. Il faut faire attention à malgré tout rester inflexible sur les fondamentaux.

Dans notre démarche lean, les fondamentaux sont le suivi quotidien de la performance opérationnelle (car si on ne mesure pas, on ne peut pas savoir si on s’améliore et si l’équipe a appris quelque chose), la résolution de problème au quotidien, la bienveillance (voir point #7) et d’un manière générale les 10 règles de l’amélioration continue.

6. Demander le bénéfice du doute

Il est très facile d’arriver dans une équipe en conquérant. Tout auréolé de la mission qui nous a été donnée par le dirigeant, sponsor de la démarche, nous avons parfois tendance a être enivré par ce que Scott Berkun appelle dans The Art of Project Management, notre Granted Power (pouvoir attribué), qui est de nature complètement différente de celui acquis par le travail effectué (le Acquired Power).

Le résultat est que l’équipe n’a que peu de reconnaissance pour nos éventuelles compétences. Une parade que j’utilise depuis plusieurs années est de demander le bénéfice du doute. S’il est très facile pour l’équipe de refuser de reconnaître nos compétences et le bien fondé de la démarche, il est plus difficile de refuser de nous donner le bénéfice du doute. L’idée que l’on veut faire passer est que, peut-être, nous pourrions savoir ce que l’on fait en emmenant l’équipe dans telle direction. Il s’agit là encore d’une demande moins violente que d’exiger une adhésion inconditionnelle à ce que l’on essaie de faire.

7. Ne pas juger

En dernière page de Philosophie Magazine, il y a, chaque mois, une sorte de mini questionnaire, qui se rapproche du questionnaire de Proust. Répondant dans le cadre du sien à la question « Quelle est la qualité que vous appréciez le plus chez une personne ? », la brillante actrice et réalisatrice Zabou répondit « La bienveillance« . Il m’a fallu quelques années et la définition de cette qualité dans un contexte professionnel par Cécile Roche pour mesurer combien cette qualité était importante dans mon métier. Je recopie l’intégralité de l’extrait du livre de Cécile car il s’agit d’un élément fondateur de notre démarche :

La bienveillance est avant tout une façon de considérer l’autre avec un a-priori positif. C’est l’attitude qui consiste à mettre dans son rapport à l’autre une intention positive, sans naïveté mais sans idée préconçue. C’est aussi supposer que l’attitude de l’autre n’est pas sous-tendue par des intentions négatives.

Cela suppose de s’intéresser aux faits sans les interpréter de prime abord, tout simplement parce que l’interprétation des faits est la traduction de nos propres convictions et de nos propres valeurs bien plus que celles de la personne qui est à l’origine des faits.

La bienveillance désamorce les conflits au lieu de les envenimer (…) elle installe les conditions positives d’une co-construction plutôt qu’entretenir une spirale négative de défiance. La bienveillance est un pari gagnant. Faire l’hypothèse que les intentions de l’autre ne sont pas malveillantes c’est en fait prendre un risque très faible en regard du bénéfice attendu.

Voilà tout est dit. À ce sujet je m’écarte un peu de la tradition « sensei » qui peut sembler parfois brutale et impérieuse.

8. Se réjouir de chaque avancée

L’équipe nous accepte en son sein, elle accepte de nous écouter, nous donne le bénéfice de son temps, comprend que nous respectons son travail et son temps, et fait des expérimentations. Et celles-ci fonctionnent.

Il est important à ce moment de se réjouir et de célébrer ces petites victoires en portant un soin tout particulier pour montrer à l’équipe le chemin parcouru et ce qu’elle a réalisé en faisant ce lien si important dans le Lean : celui entre le changement de pratique et l’amélioration de la performance opérationnelle. Ce qu’Eric Ries appelle la « connaissance validée » dans The Lean Startup.

9. Savoir jusqu’où aller trop loin

Lorsque nous accompagnons une équipe et que les choses commencent à bouger on peut avoir tendance à vouloir insister et demander davantage d’effort des collaborateurs pour aller chercher des améliorations qui deviennent alors accessibles. C’est un pari dangereux car on risque ainsi de briser la relation. Une conséquence que, personnellement, je souhaite à tout prix éviter.

Aussi je suis très vigilant aux signes de la communication non verbale : a-t-elle plissé les yeux ? A-t-il froncé le sourcil ? poussé un soupir ? A-t-elle levé les yeux au ciel ? Est-elle fatiguée aujourd’hui ? C’est une frontière subtile et il fait partie de notre métier de savoir jusqu’où continuer à avancer sur un sujet avec quelqu’un. Parfois, la discussion devient vive et à ce moment là je préfère botter en touche « Bon j’ai compris que tu n’es pas disponible aujourd’hui, je te laisse y réfléchir et on en parle la prochaine fois. »

10. S’effacer lorsque l’équipe raconte son histoire

Au terme du projet, l’équipe dresse son bilan et en fait une restitution. À ce moment là il est indispensable de s’effacer car on ne veut pas tirer la couverture à nous. On veut que l’équipe voit à cette occasion encore le chemin que chacun a parcouru. La tentation est grande d’intervenir pour corriger un point de détail ici, un chiffre là mais ce que j’ai appris c’est qu’il est préférable de se taire et de rester en retrait. Quitte à répondre à des questions en off.

A force de pratiquer ce détachement j’ai appris à en éprouver une satisfaction profonde bien qu’indirecte. Une satisfaction que je retrouve lorsque des personnes que je coache interviennent à des conférences (voir Cédric Verdon). On a ainsi la preuve que l’on a un peu, à travers l’histoire racontée, contribué à changer le monde à son modeste niveau. Une belle et noble sensation.

Et vous, quels sont vos conseils sur la posture à adopter en tant qu’agent du changement ?

2 réflexions sur “Conduite du changement : la posture du coach

  1. Merci Cecil pour ce superbe article !
    Un point à ajouter : aider l’équipe à supprimer l’irritant principal selon eux (s’il y en a) même si cela ne va pas directement faire bouger la performance de l’équipe. Car le coach lean est là pour les aider et doit le leur montrer ! + amélioration de leurs conditions de travail #QVT

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