« Faites des gemba » qu’ils disaient, mais comment faire concrètement ? A quoi faut-il être attentif, que regarder, comment réagir ? Comment ne pas fliquer ? Et si je vois une marmotte, ça veut dire quoi ?
Partez de la posture suivante : faire un gemba, c’est 1-être curieux de tout, 2-accepter notre ignorance complète du point de vue de la personne visitée sur la réalité de son métier, 3-chercher à voir cette réalité, 4-chercher à comprendre uniquement ce que l’on voit. 5-s’astreindre à ne poser que des questions.
Sur un processus en train d’être opéré
Ne notez que ce que vous voyez. Pas ce que vous devinez ni ce que vous interprétez, pas ce qu’il faudrait faire, pas une solution, pas votre analyse. Uniquement ce que vous VOYEZ.
Passez au minimum une heure au même endroit auprès de la même personne, idéalement deux heures pour commencer à comprendre un peu ce qui se passe sous vos yeux
Au moins une étape de bout en bout (début au début suivant) : pour voir le cycle complet et les obstacles nichés entre deux.
Notez la référence du lot, du ticket, de la demande : pour pouvoir y revenir.
Cherchez à voir le livrable ou le réalisé final de l’étape : pour voir la valeur produite – ou pas. Y a t il quelque chose de produit ? Ce quelque chose est-il conforme ou non ? Est-il terminé du point de vue du client ou non ? Quelle est la nature de l’éventuel défaut ?
Soyez attentif aux défauts non corrigés, aux corrections, interruptions, hésitations, abandon en cours de route et rejets. Identifiez-en la nature et le nombre d’occurrences.
Estimez le niveau des stocks à chaque étape.
Comptez le temps d’observation de bout en bout et le nombre de personnes dont vous observez l’activité.
Ne faites aucun calcul. Contentez-vous de compter par batonnage. Vous ferez vos calculs après le gemba.
Les onze erreurs classiques si faciles à éviter :
1- La plus grave, ne rien compter du tout : vous feriez un simple safari dont vous ne reviendriez qu’avec des impressions et aucun élément factuel ni potentiel, rien d’utile ; ne fournit que des généralités ou une liste à la Prévert de “gaspillages” sans aucun intérêt de type “perte de temps”, “gaspillage”, “beaucoup d’énergie dépensée pour rien”, « beaucoup d’escalades », « peu de réponses au premier appel ».
Cette absence de comptage est typique des novices et extrêmement préjudiciable à la suite de l’amélioration, car elle interdit l’évaluation du poids relatif de chaque gaspillage. Et donc l’estimation de leur potentiel de nuisance sur l’ensemble du processus observé… donc de démontrer à d’autres l’importance de traiter ce sujet.
Au lieu de collationner, par exemple sur un help desk de fonction support, les observations qui vous permettront de dire après retraitement que sur 18 demandes observées en 195 minutes de gemba auprès de 2 personnes :
- 6 sont des ré-ouvertures ou des suites de demande antérieures ;
- 12 de nouvelles demandes ;
- en sortie 7 sont escaladées, 8 clôturées et 3 suspendues ;
- sur les 8 clôturées, 3 le sont sur un refus de traiter au motif de données fournies incomplètes et 5 ont apporté une réponse utile au demandeur.
soit 5/18=28 % de valeur ajoutée et 13/18=72 % de gaspillages, ou encore 19/18= 105 % de Non Right First time.
Restez factuel : pas de mesure, pas d’amélioration.
2- La plus fréquente : venir faire un gemba et ne s’intéresser qu’aux activités sans jeter un seul regard au produit.
Par exemple dans un help desk, rester à la surface des choses sans s’intéresser ni à la nature de la demande, ni à leur volume : s’agit-il de mots de passe oubliés (1), de droits d’accès à des applicatifs précis (4), de demande de résolution d’incident (10), de relance pour savoir où en est sa demande (3) ? Et pour chaque demande, de quoi s’agit-il précisément ? Avec quelles conséquences pour le demandeur ?
Ou encore sur une campagne de changement de compteurs chez les clients, savoir pour chacun de quel type d’équipement il s’agit, sans ou avec module spécifique, et dans ce cas, incorporé ou non ; de quelle taille ? Accessible ou non accessible, sur rendez-vous ou sans rendez-vous. En zone urbaine ou rurale, en immeuble ou en pavillon ? Combien d’interventions planifiées, combien de déplacements sur site, combien d’interventions infructueuses, combien d’équipements remplacés durant le gemba ? Restez focalisés sur le quoi et sur le combien.
3- La plus arrogante, y consacrer moins de une heure d’affilée : vous afficheriez une suffisance quant à votre compréhension fine du processus qui n’égalerait que le niveau de votre mépris pour le travail de l’opérateur, en plus de n’avoir aucune chance d’observer la moindre cause de variabilité. En plus de bien afficher combien votre temps à vous est plus précieux que celui des autres. Restez curieux de comprendre vraiment les détails, si vous voulez vraiment débusquer les diables qui se cachent entre leurs itérations.
4- La plus perverse : compter le temps de travail des personnes au lieu de compter les pièces bonnes qui sortent. Vous cherchez les hypothétiques temps morts de la personne au lieu des évidents temps morts du processus. Du mauvais coté de la lorgnette, vous cherchez à maximiser le temps de travail effectif de la personne -aucun intérêt- plutôt qu’à minimiser le temps de traversée du processus. Ce faisant vous vous escrimez sur un facteur 1 de potentiel, en passant à côté du facteur 20 d’amélioration possible.
Taylor, sors de ce corps ! L’élimination par principe des temps morts des personnes relève du pur Taylorisme et n’a RIEN à voir avec le lean. Restez sur la méthode.
5- Donner les réponses que vous croyez connaitre, à la place du collaborateur concerné : si vous répondez à sa place, il ne vous expliquera plus rien d’utile. Restez humble, celui des deux qui vient pour apprendre sur la réalité terrain c’est vous. L’expert du sujet c’est donc lui.
6- Chercher à résoudre immédiatement cet irritant qui vous gratte : toute l’entreprise vit fort bien avec -fort mal en fait – sans s’y être intéressée le moins du monde depuis des années. Vous compris. Vous venez vous-même tout juste de le découvrir, apprenez déjà à mieux le connaitre. Votre opérateur le supporte depuis des années, comme tous ses collègues de toute la France. Il l’a déjà remonté à son chef, au chef de son chef, en entretien annuel, aux RH, aux Opérations, en enquête annuelle d’engagement et même au support IT, quatre fois : en vain ! Alors il vit avec. Mal, mais qu’y peut-il ? Rien. Mais vous oui, ce sera avec cela que vous repartirez. C’est même pour cela que vous faites des gemba : pour remplir votre besace plutôt que celle des autres. Restez patient, les irritants dans votre entreprise sont comme des étoiles : innombrables. Le gemba vous permet de comprendre ainsi la nécessité du mot “continue” dans l’amélioration. Ainsi que l’énormité du potentiel d’amélioration : combien de collaborateurs concernés par ce petit irritant qui fait perdre 45 mn par jour ?
7- Alerter le collaborateur de l’éventuelle anomalie qu’il s’apprête à générer : en plus de lui faire perdre la face devant le grand chef que vous êtes, vous perdez votre seule occasion d’en identifier la fréquence. A la place, lui demander la raison de son action, puis la raison de son explication (déjà 2 “pourquoi” sur 5, cela en vaut la peine..). Pour rester dans votre rôle d’explorateur, évitez celui de pompier – sauf geste de sécurité non fait.
8- Donner des conseils non sollicités sur la manière de faire le travail : vous n’avez encore rien vu, ne connaissez rien du travail, mais vous avez déjà un avis éclairé par votre pratique d’il y a 15 ans ; en quoi cela serait-il pertinent aujourd’hui ? Restez cohérent.
9- Répondre à une sollicitation extérieure quelle qu’elle soit durant votre gemba, téléphoner, parler ou commenter les choses entre vous, avec ceux qui participent au gemba mais pas avec ceux qui sont en train de bosser : vous n’êtes pas dans le dernier salon où l’on cause, vous ratez le but même de votre précieux temps de gemba. Restez concentré.
10-Regarder et repartir sans rien dire : vous donnerait une posture inquiétante de contrôleur ou d’auditeur totalement indifférent au collaborateur qui vous accueille sur son poste de travail. Présentez-vous. Manifestez votre intérêt et vos étonnements, énoncez une chose précise que vous aurez constaté, appris ou découvert grâce à cette personne : “je ne savais pas que cela s’appelait ainsi / que la poussière dans l’entrepôt impactait autant le matériel / que les triangles jaunes sur l’écran indiquent des capteurs défaillants / qu’il y en avait autant de défaillants / que 2 bornes wifi sur 3 sont ko / que les rampes des plateaux porte engins pesaient aussi lourd / que certains serveurs devaient être rebootés chaque matin – merci de me l’avoir appris ». Restez exemplaire.
Et si vous n’avez rien appris du tout, c’est que vous avez complètement raté votre gemba…
11- Chercher à cocher toutes les cases de ma liste ci-dessus reviendrait, lors de chacune de vos randonnées en montagne, à chercher à voir absolument et dans cet ordre : un edelweiss, un aigle, un mouflon, un bouquetin, une marmotte et un gypaède barbu : vous verrez bien ce que vous pourrez voir, s’ils y sont.
Ce que vous verrez est la réalité, ce que vous ne verrez pas, aussi.
Par exemple, on ne voit de marmottes qu’à une certaine altitude, sur un certain type de sol, seulement à certaines saisons. Et quand on en voit une, on en voit plusieurs. Restez ouvert aux circonstances.
Devant un management visuel ou une Obeya
Regardez bien tout ce qui est affiché et intéressez-vous à l’existence – ou à l’absence- de chacun des quatre composants élémentaires du management visuel :
1- La compréhension des attentes client : comment sont-elles remontées ? Comment sont-elles décrites et comprises ? Quelle est la dernière analysée ? Donnent-elles lieu à résolution de problèmes ? Lesquels ? Quels apprentissages ou changements dans la manière d’opérer en ont été tirés ?
2- La coordination des collaborateurs autour de la représentation du flux de production : le choix du type de flux de production correspond t-il à la nature des activités (gros ou faible volume) ? L’enchainement des étapes décrites correspond-il à la réalité du processus ? A quelle fréquence est-il mis à jour ? Le rythme et le volume à atteindre -ou quai de livraison- sont-ils clairs pour tous ? Comment sont attribuées les tâches ? Quelles sont les règles de priorisation entre les différentes natures d’activité ou de produits ? Sont-elles toutes représentées ? Comment les difficultés et les défauts sont-ils identifiés, sont-ils remontés, sont-ils traités ? Combien y a-t-il de tâches en cours au total ? Où se trouvent les déséquilibres du flux ? Comment sont-ils traités ? Combien de tâches ont-elles été livrées sur la période ?
3- La mesure de la performance : où les indicateurs sont-ils affichés ? Avec quelle fréquence ? Quels sont les indicateurs retenus ? Pourquoi ceux-ci ? Quel est le lien avec la mission de l’équipe ? Qui en est responsable? Comment est calculée la cible ? Comment les écarts à la cible sont-ils représentés ? Les variations sont-elles expliquées ou commentées ? Comment la situation a-t-elle évolué dans le temps ? Ou cela se voit-il ? Quelles sont les actions qui ont bien marché ? Quelle fréquence de partage ?
4- La résolution de problèmes
Où sont-ils affichés ?
Quel est le dernier problème résolu ? Par qui ? Montrez moi.
Pouvez-vous m’en parler un peu plus ?
Finalement qu’est-ce que vous faites différemment maintenant ?
Quel est le prochain sujet que vous voulez résoudre ?
Pourquoi celui là ?
Quelle est la fréquence allouée au travail de résolution ?
Quand et avec qui ont été partagées les conclusions ?
Comment pensez-vous le diffuser, auprès de qui ?
En quoi pourrais-je éventuellement vous aider ?
En partant :
1- énoncer au moins une chose bien faite, intéressante ou qui vous a plu, expliquer pourquoi
2- demander quelle est la nature de la prochaine amélioration
3- annoncer la date de votre prochaine visite.
Finalement, poser des questions cela laisse beaucoup de choix. A tout le monde…
Vous souhaitez être accompagnés sur le gemba ? Contactez-nous