Vous l’avez sûrement remarqué : plus vos équipes travaillent, plus tout semble ralentir. Les décisions s’enlisent, les réunions se multiplient, les projets s’étirent. Et au bout du compte, votre entreprise donne l’impression d’être partout à la fois, sauf là où elle est vraiment attendue par ses clients et ses autres parties prenantes.
Nous évoluons dans un environnement instable, où les priorités changent aussi vite que les marchés. Mais ce n’est pas tant le monde extérieur qui fatigue les organisations, c’est leur propre inertie interne. La lenteur n’est pas dans les personnes, elle est dans les circuits.
La nature reproduit les mêmes motifs de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Une entreprise, c’est comme un corps : les dirigeants en sont le cerveau, les équipes les muscles, et entre les deux circule un système nerveux : le management.
Quand le signal se transmet mal, trop lentement, trop confusément, ou dans les deux sens à la fois; le corps entier se fige ou au contraire, il est pris de spasmes incontrôlables. Le cerveau veut bouger, les muscles sont prêts à agir, mais l’influx nerveux se disperse ou se perd en chemin :
- une surprenante multitude de validations,
- des priorités concurrentes et souvent même contradictoires,
- des reportings qui remplacent l’action. Paradoxalement, l’arrivée de l’IA a considérablement réduit le temps de rédaction sans pour autant réduire le temps consommé par l’activité de reporting.
Ce n’est pas un problème d’intelligence ni d’énergie, c’est un problème de conduction. Et quand le système nerveux ne joue pas le rôle attendu, le cerveau se sent trahi par les muscles.
La lenteur organisationnelle se reconnaît à quelques signes familiers :
- Les décisions sans effet. Elles sont prises, mais rien ne change.
- Les projets sans fin. On avance un peu partout, on ne termine nulle part. Il se trouve même des manageurs, qui désabusés, désespèrent de l’émergence d’une nouvelle priorité qui enterrera de facto l’interminable projet précédent.
- Les managers saturés. Ils passent leurs journées à arbitrer des urgences qu’ils ne comprennent pas. Les 50 et parfois même 60 heures de travail par semaine sont devenues la norme. Comme si n’avoir pas fait son burnout avant 50 ans était la preuve d’avoir manqué d’engagement.
Le pire, c’est que tout le monde travaille dur. Mais le produit de leur travail ne s’additionne pas : il se neutralise. Chacun agit avec sincérité, dans son périmètre, sans voir que le flux global s’enlise dans la coordination.
Quand une entreprise cherche à “aller plus vite”, elle pense souvent à ses équipes, à leur charge, à leurs outils, à leurs process. Mais c’est rarement là que se joue la vitesse. La vitesse dépend du management : sa capacité à faire circuler les décisions et à leur donner du sens, sa capacité à résoudre les problèmes en équipe, sa capacité à faire fructifier les apprentissages.
Un bon management, c’est un système nerveux fluide :
- il transmet les signaux sans les amplifier, ni les ralentir ;
- il clarifie les intentions avant qu’elles deviennent des injonctions ;
- il promeut une organisation apprenante qui voit dans chaque problème à résoudre une opportunité d’apprentissage, une opportunité de développement de ses capacités professionnelles ;
- Il écoute et va sur le terrain pour faire remonter vers l’exécutif les informations éclairantes avant qu’elles ne se perdent.
Il est tout cela.
Depuis le niveau exécutif jusqu’au niveau opérationnel, le manageur est celui qui challenge et donne du sens. Il est celui qui promeut et incarne une culture de l’excellence et de l’amélioration continue, celui qui, par sa posture et ses actes, favorise l’émergence d’un écosystème apprenant, un environnement où chaque problème devient une occasion d’apprendre, de progresser, de renforcer les compétences collectives.
La vitesse n’est pas une question d’effort, mais de synchronisation et de maturité managériale. Et c’est le management qui en donne le tempo. Dans certaines organisations, la multiplication des projets donne l’illusion du mouvement. Mais la dispersion consomme plus d’énergie qu’elle n’en crée. C’est le paradoxe classique : dix priorités en parallèle, quinze réunions hebdomadaires, et au final une seule réalisation concrète. Lorsqu’on accepte de finir avant de recommencer, quelque chose de spectaculaire se produit : le rythme devient visible. Les équipes se synchronisent, la confiance revient, et la direction retrouve du levier sur son action. La vitesse se construit dans la séquence, pas dans la simultanéité.
Un dirigeant peut décider vite. Mais entre la décision et le résultat, il y a la physique de l’organisation : la friction des silos, la viscosité des circuits hiérarchiques, la dispersion des énergies.
Chaque nouvelle priorité crée une onde. Si les ondes se superposent, elles s’annulent. Si elles sont rythmées, elles s’amplifient. C’est exactement le rôle du management : accorder la fréquence du cerveau et celle des muscles. Pas en ajoutant du contrôle, mais en restaurant la clarté, la cohérence et la confiance.
Aller vite ne consiste pas à presser les équipes, cela consiste à clarifier le chemin : moins de projets, moins d’étapes, moins d’intermédiaires. C’est paradoxal, mais chaque fois qu’une direction accepte de ralentir un instant pour retrouver du sens, la vitesse revient naturellement. L’entreprise gagne alors une qualité rare : la fluidité.
Et cette fluidité, c’est ce qui distingue les organisations réactives des organisations apprenantes, celles qui transforment chaque expérience en progrès. La vitesse ne se décrète pas, elle se cultive. Elle dépend de la qualité du signal, de la confiance dans les relais, et de la constance du rythme. Autrement dit, de la maturité du management.
Gagner en vitesse, ce n’est pas faire courir plus vite les équipes. C’est faire mieux circuler l’intention entre la tête et les mains de l’entreprise, en s’appuyant sur des manageurs capables de donner du sens et de nourrir la progression collective.
Et si votre rôle de dirigeant, finalement, n’était pas d’aller plus vite, mais de redonner à votre entreprise un système nerveux en bonne santé, capable d’apprendre en avançant et d’avancer pour apprendre ?
Frédéric Buono