Le Lean Management fait souvent penser à des usines japonaises, réglées comme des horloges. On l’imagine dans de grands sites industriels, là où chaque geste compte. Pourtant, le Lean ne s’arrête pas aux portes de l’usine. Il va plus loin. Ses principes, à la fois simples et puissants, s’adaptent à bien d’autres contextes : les bureaux, les projets, le quotidien. Deux outils en illustrent parfaitement l’esprit : le Kanban et le 5S.
Souvent associé aux usines, le Lean peut pourtant transformer nos façons de travailler, dans l’administratif et même à la maison. En tant que gestionnaire administrative, j’ai moi-même expérimenté cette approche et intégré le Kanban dans mon organisation, en toute simplicité.
Le Kanban : rendre visible pour mieux agir !
En japonais, Kanban veut dire « étiquette » ou « panneau ». Un mot simple, presque banal. Pourtant, il cache une idée limpide : voir pour mieux agir. Né dans les ateliers de Toyota, le Kanban repose sur une règle claire : rendre visible chaque étape d’un flux pour agir juste, au bon moment.
Que l’on suive un stock, que l’on gère une tâche ou que l’on partage une information, le Kanban rend tout visible. Cette transparence évite les oublis, prévient les blocages et renforce la réactivité de l’équipe.
Prenons un exemple concret. Chez Operae Partners, nous avons mis en place un Kanban visuel pour gérer les consommables des imprimantes. Cela peut sembler anecdotique, mais l’impact est réel : sans impression, pas de visuels pour les ateliers, pas de supports pour les formations, pas de livrables clients.
Comment cela fonctionne ? Lorsqu’un collègue prend la dernière cartouche ou le dernier rouleau de papier A0, il me transmet l’étiquette indiquant les références à commander. Je passe ensuite la commande et réapprovisionne le stock. Et voilà, c’est fait !

Le Kanban a permet donc de suivre les stocks en temps réel, en différenciant les cartouches par couleur, en signalant la nécessité de commander. Résultat : plus de pannes imprévues et l’équipe a toujours ce dont elle a besoin pour imprimer et intervenir sur le terrain.
A la maison, ce système simple à comprendre, peut aussi s’appliquer. Imaginez un placard organisé façon Kanban : les denrées de base toujours visibles, les produits à racheter clairement identifiés. Ou encore un tableau familial de tâches où chacun voit ce qu’il a à faire et quand. Dans les deux cas, la logique est la même : rendre visible pour éviter l’oubli, fluidifier le quotidien et réduire le stress.
Passons maintenant au deuxième pilier qui est le 5S, une méthode qui structure et améliore durablement le cadre de travail et celui de la maison.
Le 5S : trier, ranger, nettoyer, standardiser, suivre
Autre pilier du Lean, le 5S est une méthode japonaise de maitrise et de bon entretien de son environnement. Son nom vient des cinq actions fondamentales qu’il propose :
- Trier/Supprimer : éliminer ce qui est inutile.
- Ranger/Situer : placer chaque chose à sa place.
- Nettoyer/Scintiller : nettoyer pour créer un espace sûr et agréable.
- Standardiser : définir des règles communes pour maintenir l’ordre.
- Suivre (ou Soutenir) : entretenir la démarche dans le temps.
À la demande de notre dirigeante Marie-Pia Ignace, nous avons lancé un 5S pour améliorer notre cadre de travail. Chacun a participé, avec simplicité et envie. Résultat : des bureaux plus clairs, un esprit plus léger, et une vraie fierté collective. Un petit pas pour l’ordre, un grand pas pour le bien-être.
Nous avons commencé par un grand tri : archives de plus de dix ans, matériel obsolète, classeurs vides, câbles en double… tout ce qui n’avait plus de valeur a été recyclé ou jeté/archivé correctement. Le résultat est visible : des espaces aérés, un environnement plus sain, et surtout une meilleure productivité.
Vous vous demandez peut-être en quoi le 5S rend le travail plus productif. Prenons un exemple simple : les agrafeuses. Nous avons réalisé qu’on en avait bien plus que de salariés. Le tiers ne fonctionnait plus. Les deux autres tiers étaient éparpillés, souvent invisibles, rarement à portée de main. Résultat : on perdait du temps.
Quelqu’un cherchait une agrafeuse, en trouvait une, elle ne marchait pas. Il repartait en chercher une autre. Encore du temps perdu, encore de la frustration. Après le 5S, tout a changé. On a trié, rangé, nettoyé, puis standardisé les emplacements. Chaque agrafeuse a désormais sa place, visible, accessible, fonctionnelle. Et surtout, on vérifie régulièrement que tout reste en ordre. Les demandes de fournitures ont chuté, les irritants aussi. Le flux est plus fluide, le quotidien plus simple. Et ce principe ne s’applique pas qu’au matériel.
Le 5S virtuel existe aussi : ranger ses fichiers, nommer ses dossiers, structurer ses tâches. Quand tout est clair, on avance plus vite. Parce qu’un environnement ordonné, physique ou numérique, rend l’esprit plus léger. Et quand on est bien dans ses baskets, on travaille mieux.
Mais le 5S virtuel va plus loin qu’un simple rangement de fichiers. Il s’applique à nos outils de travail quotidiens : Dropbox, Google Drive, ou tout autre espace partagé. Ces plateformes sont essentielles. Elles concentrent la logistique documentaire, la gestion des projets, la vie administrative. Mais sans méthode, elles deviennent vite un casse-tête : fichiers en double, dossiers mal nommés, documents introuvables, ou versions non à jour. Après un 5S dans un de ces outils, les fichiers deviennent de bon document, au bon endroit et accessible par les bonnes personnes. Ces outils deviennent alors de véritables leviers d’efficacité, bien au-delà du simple stockage.
C’est aussi un message fort envoyé aux équipes d’Operae : le désordre n’a pas sa place dans une culture d’amélioration continue.
A la maison, le 5S peut s’appliquer à une chambre encombrée, une armoire débordante, ou même un balcon transformé en débarras. Les trois premiers “S” – Supprimer, Situer, Scintiller – suffisent souvent à créer un cadre agréable et fonctionnel mais pas forcément durable. Il n’est évidemment pas nécessaire de standardiser chaque tiroir ou de suivre des indicateurs précis ; néanmoins, établir quelques règles permet de préserver une bonne organisation. Adopter la logique du 5S, c’est déjà reprendre le contrôle de son environnement et gagner du temps au quotidien.

Si je prends un exemple concret, dans lequel j’ai moi-même appliqué le 5S chez mes parents, l’été dernier. L’objectif ? Transformer le balcon, devenu un vrai débarras, en un espace où l’on puisse enfin respirer, prendre un café, faire une pause. On y trouvait de tout : des objets collectionnés par mon père, des outils ménagers, une machine à coudre, des jouets, des vêtements destinés au pays… sans oublier plusieurs boîtes à outils, à moitié vides ou rouillées. Avec le temps, tout s’était empilé, sans logique, juste au cas où. Et quand je demandais : « Pourquoi garder tout ça ? », la réponse était toujours la même : « Ça peut servir » ou encore : « On l’enverra au pays ».
Alors, on l’a fait grâce au 5S. Les vêtements et objets utiles sont partis, les inutiles ont été triés, jetés ou recyclés. Et les espaces vraiment nécessaires ont été repensés et organisés logiquement.
Pendant tout le processus, je posais sans cesse la même question, même si je connaissais déjà la réponse : « À quoi et à qui cette chose est-elle vraiment utile ? » C’est là tout l’esprit du 5S : remettre du sens dans ce que l’on garde, créer de l’espace pour vivre mieux, et redonner de la valeur à chaque objet, à chaque geste.
Pourquoi ces méthodes fonctionnent ?
Ce qui rend le Kanban et le 5S si puissants, c’est leur simplicité. Ces méthodes ne demandent ni logiciels complexes ni longs processus théoriques. Elles reposent sur le visuel, le bon sens et l’action concrète.
• Le Kanban permet d’apporter de la visibilité et d’agir au bon moment ; c’est-à-dire réduire les imprévus.
• Le 5S crée de la clarté, de la propreté et de la discipline.
En combinant les deux, on obtient un système équilibré : d’un côté, la fluidité des flux et la réduction des pénuries, tout en évitant les excès de stocks et l’argent qui dort (Kanban) ; de l’autre, la stabilité et la propreté du cadre de travail (5S). Ensemble, ils réduisent les gaspillages, améliorent la productivité et libèrent de l’espace — aussi bien physique que mental.
Le Lean Management au service de l’humain
Le Lean Management n’est pas réservé aux ingénieurs ou aux grandes organisations. Il se vit chaque jour, dans un bureau, un atelier, une salle de classe… ou même à la maison. Le Kanban et le 5S sont deux exemples concrets qui montrent que la performance peut rimer avec simplicité et équilibre.
Ces outils nous rappellent une chose essentielle : un espace clair favorise un esprit clair. Qu’il s’agisse d’un stock d’entreprise ou du congélateur de votre mère, la logique reste la même : voir ce qu’on a, savoir où le trouver, et maintenir un ordre qui facilite la vie.
Alors, plutôt que de considérer le Lean comme une méthode rigide, voyons-le comme une philosophie d’organisation bienveillante. Une façon de se simplifier la vie, de gagner du temps, et de construire chaque jour un environnement plus serein, plus efficace, et plus humain.
Bintou Keita