Productivité ou productivisme : le cas d’une équipe logicielle

Productivité ou productivisme : le cas d’une équipe logicielle

La productivité est au cœur de nos des débats économiques et sociaux. Elle fait la une des journaux lorsqu’on parle de compétitivité, de financement des retraites ou d’efficacité des services publics. Pourtant, dans beaucoup d’organisations, ce terme reste chargé de méfiance, voire d’hostilité. Pourquoi ? Parce qu’il est trop souvent confondu avec son faux cousin : le productivisme.

Productivité et productivisme : deux logiques radicalement différentes

La productivité est un ratio. Elle compare ce que l’on livre à l’effort qu’on y met. Améliorer la productivité, c’est produire plus avec autant, ou produire autant avec moins. Et quand cela se fait sans sacrifier la qualité ni les personnes, c’est une bonne nouvelle : cela signifie qu’on travaille mieux.
Le productivisme, en revanche, n’est pas une logique d’amélioration. C’est une fuite en avant : produire toujours plus, quel qu’en soit le coût humain ou organisationnel. Là où la productivité cherche à réduire l’effort inutile, le productivisme se contente souvent de l’intensifier, en augmentant les charges de travail, les exigences, ou les volumes, sans repenser le système de production.

Dans les entreprises, cette confusion est fréquente. Lorsqu’un dirigeant parle de « gagner en productivité », les équipes entendent parfois « faire plus avec moins », c’est-à-dire travailler plus dur, plus vite, avec moins de moyens. Cette lecture productiviste crée un rejet instinctif. Personne ne veut être pressé comme un citron.
Mais améliorer la productivité n’implique pas de courir plus vite. Cela implique surtout de travailler autrement. Et cela peut se faire au service des équipes autant que de l’organisation.

Retour d’expérience : une équipe BI confrontée à la pression croissante

Prenons l’exemple d’une équipe agile en charge de la business intelligence dans une grande entreprise. Elle se retrouve dans une situation typique :

  • une demande croissante des Métiers,
  • avec en parallèle une réduction des budgets de prestation.

C’est une équation insoluble si on l’aborde par une logique productiviste : il faudrait livrer plus, avec moins de monde, plus vite, sans rien changer à l’organisation du travail. Échec assuré.
Dans cette équipe, le moral est en baisse. Les membres ont le sentiment de mal faire leur travail, de ne pas tenir les délais, de subir des injonctions contradictoires. Plutôt que d’ajouter de la pression, l’équipe décide de s’engager dans une démarche lean IT. L’objectif : améliorer la productivité, pas par la contrainte, mais par une transformation du système de travail.

Étape 1 : nettoyer le backlog, clarifier la demande

Premier levier activé : le backlog. En le passant au crible, l’équipe s’aperçoit qu’un certain nombre d’user stories (US) présentes dans les sprints n’ont pas été formellement validées par les Métiers. Elles sont certes intéressantes, mais elles ne sont ni prioritaires, ni financées.
Décision collective : on ne les réalise pas. Le backlog est nettoyé. Résultat immédiat : -12 % de volume, pour une production de valeur inchangée (puisqu’on ne comptabilise que les US validées). En clair, 12 % de jours-hommes évités, et autant d’énergie redirigée vers ce qui compte vraiment.

Étape 2 : améliorer la qualité en s’attaquant aux boucles de rework

Deuxième levier : les US en souffrance, ces éléments développés mais non mis en production. En les analysant, l’équipe constate que 25 % du backlog correspond à des US des sprints précédents qui ont échoué en phase de tests techniques. Un quart du travail réalisé ne produit pas encore de valeur.
Plutôt que de continuer à empiler les nouvelles tâches, l’équipe utilise la méthode PDCA pour comprendre ce qui coince :
• Qu’est-ce qu’une US “finie” ?
• Quels tests sont nécessaires à chaque étape ?
• Quelles bonnes pratiques peuvent être diffusées ?
• Comment fiabiliser la chaîne de livraison ?
Progressivement, sur trois sprints, l’équipe redéfinit sa “definition of done”, améliore ses standards, documente ses tests, et automatise ce qui peut l’être. À l’issue de cette période, le taux d’US non déployées chute de 25 % à 5 %. Ce sont encore 20 % d’activité non utile qui disparaissent.

Résultat : une amélioration de la productivité de 30 % en 3 mois

En combinant ces deux actions, élimination des demandes non validées et réduction du rework, l’équipe a amélioré sa productivité de 30 %. Sans heures supplémentaires. Sans stress supplémentaire. Simplement en reprenant la maîtrise de ce qui entre et sort du système.
Mais surtout, les bénéfices humains sont réels :
• Moins d’attention managériale négative : les objectifs sont atteints, les livraisons sont claires.
• Une meilleure relation avec les Métiers, car ce qui est livré est de qualité, et souvent livré plus vite.
• Moins de stress, car l’équipe travaille sur des bases claires, visibles, et gérables.

Le lean IT : un levier moderne pour des organisations sous tension

Cette expérience illustre bien ce que le lean permet : ne pas faire plus, mais faire mieux. Et dans un monde où les ressources sont limitées, les exigences accrues, et l’incertitude omniprésente, cette capacité à regagner du terrain sur la qualité, la clarté et la maîtrise est stratégique.
Le lean ne cherche pas à “optimiser les gens”. Il cherche à améliorer le système dans lequel ils travaillent, pour qu’il soit plus fluide, plus robuste, plus lisible. C’est cette logique qui permet d’augmenter la productivité sans tomber dans le productivisme.

Le mot “productivité” ne devrait plus faire peur. Il mérite d’être réhabilité comme un projet collectif, au service de la valeur créée et des personnes qui la produisent. Ce que le lean IT démontre, c’est qu’on peut sortir de la spirale des injonctions contradictoires — livrer plus, avec moins, et plus vite — en reprenant la main sur les processus, sur la qualité, et sur les priorités.
Face aux défis actuels, il ne s’agit pas de courir plus vite dans un labyrinthe. Il s’agit d’en dessiner la carte, ensemble, pour avancer de manière plus sûre, plus alignée, plus durable.

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