François Vitu est Security, Methods & Integration Director for IT chez Michelin. Lors de son webinaire sur l’Académie des Managers lean, il a partagé son étonnement vis-à-vis du gemba. Il pensait connaitre ses équipes et leurs activités et il imaginait ne pas avoir beaucoup à apprendre dans le domaine des visites terrain avec son coach lean (@Christian Ignace). Et pourtant !
« En allant vraiment sur l’ensemble des faits, sur l’ensemble des utilisateurs, en faisant des gemba auprès des gens, on est allés chercher des informations, on a obtenu des faits qui ont été fondamentaux pour la suite, qu’on n’aurait jamais eus sans ces pratiques là et que le coach nous a incités à aller chercher. »
(pour voir le replay du webinaire, contactez-nous)
Ce partage d’expérience de François Vitu m’a rappelé une expérience presqu’identique, mais dans un cadre bien différent.
J’emmenais une fois par mois la directrice des opérations d’une banque faire un gemba dans l’un des back offices. Nous sommes allées un jour rencontrer une équipe en charge d’une activité anti-blanchiment : toutes les opérations bancaires sont analysées pour évaluer leur niveau de probabilité de blanchiment. Celles qui ont un score très élevé sont écartées du flux et doivent être analysées par un employé de la banque qui peut décider ou non de les déclarer à Tracfin.
Ce gemba a été riche de bonnes pratiques qui ont conduit à trois vrais enseignements :
Bonne pratique 1 : voir, ce n’est pas papoter
La dirigeante a demandé à suivre le traitement de plusieurs alertes, à côtés d’une employée et elle s’est astreinte au « poker face » : rester neutre pendant l’observation pour influencer aussi peu que possible la personne observée et donc avoir un meilleur contact avec la réalité.
Elle n’a pas été déçue ! Les premières analyses ont été rapides. Puis la collaboratrice a eu l’air perplexe et a cherché plus d’informations dans les systèmes avant de décider de ne pas stopper l’opération. Ce qui a estomaqué la dirigeante, m’a-t-elle avoué plus tard. En restant « poker face », elle a maintenu le lien de confiance qu’elle avait établie avec l’employée ;
Bonne pratique 2 : questionner de façon aussi ouverte que possible
La dirigeante qui avait parfaitement analysé l’opération a demandé à l’employée, question ouverte : « pourquoi avez-vous approfondi cette recherche ? ». Celle-ci lui a répondu que le client qui avait initié l’opération avait l’état civil d’un mafieux connu, habitait dans une zone qu’apprécient les mafieux en Sicile et allait en vacances lorsqu’il faisait trop chaud dans une région connue pour être un refuge de mafieux. En ce qui concernait l’opération elle-même, elle présentait une partie des caractéristiques propres aux opérations de blanchiment.
Cette analyse démontrait qu’elle connaissait bien son métier, ce qui était une première hypothèse que voulait vérifier la dirigeante.
D’où une nouvelle question toujours très ouverte : « sur quoi vous êtes vous appuyée pour décider de laisser l’opération se faire plutôt que de la bloquer ? ». L’employée un peu gênée a sorti deux documents de référence et a montré à quelle page du 1er il était indiqué qu’il fallait laisser l’opération aboutir et à quelle page du 2e, il fallait la bloquer.
Trois enseignements :
• « Go and see, ask why and show respect” (Fuji Cho, ancien président de Toyota)
En ayant suivi ce conseil à la lettre, la dirigeante a obtenu une compréhension bien plus fine de ses processus que si elle avait serré les mains, vu des slides et prononcé un aimable discours.
• Les problèmes viennent plus souvent des processus que des employés
Deming le disait en 1948 et cela est explicite dans le Toyota Way : à quoi cela sert-il de rédiger des notes de service, des consignes et autres standards s’ils ne sont pas cohérents entre eux ? Au final, cela délègue la responsabilité de la décision à l’employé tout en perturbant sa confiance dans l’entreprise qui pourra toujours lui reprocher de ne pas avoir bien fait.
• Management et employés, même combat
Les deux notes de référence avaient été signées par notre dirigeante qui a bien compris l’ironie de la situation (indispensable pour entrer dans l’amélioration, tout le monde n’en est pas capable). Des notes comme celles-ci, la banque en publie beaucoup ; un directeur d’agence reçoit en moyenne 80 pages à lire par semaine. Comment alors garantir la cohérence de l’ensemble ?
C’est ici que le management lean propose un système très pragmatique : quand il y a un problème, on le met au mur et on le résout. Localement si c’est possible (un complément de formation par exemple), ailleurs sinon. L’approche n’est jamais de chercher un fautif mais bien au contraire, d’accepter d’être imparfait et d’adresser les points ouverts pour le bénéfice de tous, clients, salariés, entreprise. On s’évite ainsi, grâce à ces boucles efficaces, des armées de contrôleurs de normes qui ne savent pas où chercher et des cohortes de problèmes du quotidien qui coûtent cher à l’entreprise.
Ce partage d’expérience va au-delà d’une présentation du gemba. Il ne coche aucune des cases des définitions un peu bateau du lean : la chasse aux gaspillages, un ensemble de techniques et une invitation à des points quotidiens (demandez à chatgpt, voici sa première réponse). Nous n’avons pas « chassé les gaspillages » lors du gemba, nous n’avons pas audité un outil lean et nous n’avons pas non plus assisté à une réunion matinale en l’évaluant sur une grille un peu simpliste.
En revanche, grâce à cette employée, la dirigeante a pu confronter son image de l’activité anti blanchiment avec sa traduction opérationnelle. Nous sommes là sur l’aspect fondamental du lean : donner le droit aux salariés de challenger leurs processus, soutenir leur réflexion par un système qui révèle les problèmes lorsqu’ils se présentent et travailler ensemble à approfondir l’expertise.
Pour conclure en revenant à Michelin : il s’agit de transformer l’entreprise obéissante en entreprise apprenante.
Nous accompagnons des dirigeants sur le terrain depuis bientôt 20 ans, contactez-nous pour discuter de la façon dont nous pouvons vous aider.