Faire de la politique en entreprise

Le budget de l’entreprise n’est pas extensible au-delà des sommes d’argent que ses clients, ses banquiers et ses actionnaires sont prêts à lui confier. La direction des systèmes d’information, alias DSI, lovée dans le budget de l’entreprise, ne fait pas exception aux contraintes budgétaires. Ainsi, sauf « grand bond en avant » voulu par le comité directeur, le budget d’une DSI est placé sous contrainte, et il est souvent demandé de faire plus, si possible avec moins. Dès lors, nous nous trouvons sur un théâtre d’opérations où deux stratégies sont possibles.

Stratégie n°1 : s’accaparer les ressources disponibles

La première stratégie, très connue, aussi utilisée que brocardée suivant qu’on en est le bénéficiaire ou la victime, c’est la politique. Mais qu’est-ce que faire de la politique en entreprise ? C’est lutter, sans arme à la main, pour s’accaparer les maigres ressources disponibles. Entendons-nous bien, il s’agit bien de ressources financières et non humaines. Il n’y a pas de ressources humaines : il y a Pierre, Conchita et Jacqueline, des personnes à part entière.

Comment procéder, lorsque l’on choisit de faire de la politique, pour que coïncident le niveau de ses ressources avec celui des projets ? Devenir le 007 de l’entreprise : le tueur avec la classe et le flegme britannique !

Vivre et laisser mourir, tel est votre nouveau credo : tout l’art est de faire établir, avec finesse et retenue, une hiérarchie qui vous est favorable par celui-là même qui arbitrera l’attribution des ressources et des projets à réaliser. Cette hiérarchie s’établit sur la valeur des projets et/ou sur leur risque de ne pas aboutir.

En ce qui concerne la valeur, deux cas de figure se présentent. Vos projets sont stratégiques pour l’entreprise. Il s’agit donc de faire comprendre que ceux de vos collègues ont moins de valeur. A contrario, votre équipe a des hommes d’une telle valeur qu’il n’est franchement pas responsable de lui confier des projets sans intérêts. Il n’est pas difficile de comprendre que le portrait en creux des autres équipes n’est pas très flatteur. En temps voulus, elles sauront vous rappeler cet assaut d’amabilités. Mais n’est-ce pas le destin d’un 007 que de ramener aux frontières de la bienséance le malandrin qui ourdit dans l’ombre quelques plans machiavéliques ?

La gestion du risque se réalise selon la même dualité que celle de la valeur. Alors que tout est propre et net du côté de la paix et de la félicité, et au regard des incertitudes sur le périmètre, de l’incapacité (récurrente) de vos collègues à respecter le triptyque qualité/coût/délai, pourquoi risquer de brûler des valises de cash sur leurs projets ? A contrario, au regard de l’amateurisme évident qui transparaît des premières spécifications générales, pourquoi encombrer mon équipe avec ce projet, ce mouton à 5 pattes, cette créature cyclopéenne toute droit sortie d’une nouvelle de Lovecraft ?

J’ai légèrement forcé le trait, mais une chose est certaine : il existe une forme d’intuitu personae qui nous lie aux projets que nous portons. Celui qui fait de la politique avec subtilité parviendra simultanément à se débarrasser des projets risqués et à rerouter les ressources vers ses projets « utiles ». Il réalisera cet exploit en évitant toute frustration à ses concurrents collègues quand il ne s’agit pas d’une humiliation pure et simple. L’expression « faire de la politique » est suffisamment méprisée pour qu’on imagine, sans peine, que les personnes dépossédées de leurs ressources et/ou affublées de projets à 5 pattes vivent très rarement une expérience qui leur ouvre les chakras. Malheureusement, ces infortunées personnes sont beaucoup moins rares au sein de l’entreprise qu’on est prêt à l’admettre : ces petits et grands tracas réduisent considérablement la qualité de vie au travail quand ils n’attaquent pas carrément la santé de vos collègues.

Comme un mensonge est toujours couvert par un nouveau mensonge encore plus gros que le précédent, faire de la politique en entreprise conduit à faire toujours plus de politique. Cela tourne souvent à un combat sans merci, souvent pathétique aux yeux des personnes aux fonctions strictement opérationnelles. Il y a des personnes très douées pour faire de la politique en entreprise. Si vous trouvez que votre café est trop salé, où s’il vous semble entendre des bruits inquiétants en allant chercher votre voiture garée au 4e sous-sol de l’entreprise, vous n’êtes probablement pas cet homme habile qui parvient à plumer la poule sans la faire crier. Mais alors, que faire ?

Stratégie n°2 : faire plus avec ce que vous avez

C’est là qu’entre en œuvre la deuxième stratégie : accepter de faire plus avec ce que vous avez. Plus de quoi ? Plus de valeur ajoutée pour vos clients ! Qu’avez-vous à disposition ? Des hommes et des femmes, pleins de bon sens et de bonne volonté, qui ne demandent qu’à réussir !

Il n’est pas rare de rencontrer des grandes organisations qui consomment une quinzaine de millions d’euros pour sortir tous les ans un projet stratégique sur les 15 en cours. Cela nous permet d’évaluer que le coût d’un projet stratégique est en fait de 15 millions d’euros. C’est cruel, mais du point de vue de ses clients, la seule chose produite par la DSI, avec tout son budget « build », c’est un seul projet. Cela n’a rien de surprenant au regard des derniers chiffres publics du Standish Group : en 2015, les grands projets avaient un taux de réussite de 6 % !

« Faire plus avec les personnes que vous avez » consiste donc, dans un premier temps, à ne pas gaspiller leur temps. Pour cela, la première action sera souvent d’identifier vos clients, puis d’identifier leurs attentes. Dans un second temps, il faudra recentrer votre équipe sur les activités qui visent à satisfaire vos clients. Une personne m’a dit une fois « j’ai passé une bonne journée quand j’ai ri deux fois ». Une autre m’a dit « je sais que j’ai passé une bonne journée quand j’ai envie de revenir le lendemain ». Ce sont deux façons de mesurer la satisfaction des collaborateurs. Ce ne sera pas la seule chose à mesurer. La qualité des livrables, le respect des délais, le stock et l’âge du stock, les flux entrants et sortants, la productivité, la satisfaction des clients, sont autant d’indicateurs de la performance de votre équipe sur lesquels il peut, et il doit, y avoir une mesure et un objectif. Les écarts à l’objectif sont autant d’occasions d’amélioration, qui une fois concrétisées, éloigneront rapidement le besoin d’endosser le costume de 007. Comme je vous parlais de ressources il y a de cela quelques lignes, vous pourrez également calculer le ROI de vos activités d’amélioration : vous serez très agréablement surpris !

Pour doubler la production, il ne faut pas doubler le nombre de personnes, il faut doubler la valeur ajoutée produite. Pour trouver le temps de s’améliorer, il faut réduire les gaspillages dans l’exécution. Ainsi, il n’est pas rare d’observer sur le terrain que les personnes surchargées de travail s’épuisent en fait à « essayer » de travailler : le temps passé à produire de la valeur ajoutée pour vos clients oscille péniblement entre 0 et 3 % par heure :

  • une personne se retrouve à gérer ses deux boîtes mail pendant 3 heures, prenant connaissance de mails qui, de son propre aveu, n’ont aucun intérêt pour l’avancement de ses projets ;
  • une autre doit se reconnecter toutes les 15 minutes aux applications entre lesquelles elle fait du copier/coller de données ;
  • une troisième est à la recherche d’un environnement de recette où tester la dernière release avant de constater que, ni ladite release, ni l’environnement de recette ne sont complets ;
  • une quatrième doit valider la huitième version des documents préparatoires d’un projet lancé deux ans auparavant alors même que le client final est passé à autre chose l’année précédente. Sur un de mes projets, une personne à qui je demandais en quoi consistait son travail m’a répondu avec un certain cynisme : « Je suis versionneur ». Comprendre : « je produis des versions d’un même document sur un projet qui n’avance pas depuis 12 mois » ;
  • une cinquième constate qu’il manque une information pour travailler et renvoie une demande de clarification par mail avant de mettre ce travail « en sommeil » jusqu’au mois prochain.

Naturellement, dès que l’opportunité se présentera, politique oblige, personne ne négligera de signaler à quel point c’est pire ailleurs. C’est là que votre « sens non-politique » est aux aguets. A chaque fois que vous, ou votre équipe, êtes tenté de regarder la performance du voisin, vous vous détournez de votre propre performance et de la résolution de vos problèmes. Cela vous détourne également… de vos clients ! La remise en cause des pratiques de travail, accompagnée de la volonté de rendre visible les problèmes et de résoudre chacun d’eux, l’un après l’autre, font partie des clés du travail sur soi pour le bénéfice des clients, de l’entreprise et de ses collaborateurs. Le potentiel d’amélioration est énorme. Les gaspillages de temps imposés aux collaborateurs représentent environ 70 % à 80 % de l’activité. Tous ne sont pas facilement résorbables. Mais, si tous les mois vous remplacez 1% du temps que l’organisation fait perdre à vos équipiers par du temps de production de valeur ajoutée pour vos clients, vous pouvez :

  • multiplier rapidement la productivité au moins par 2 et parfois jusqu’à 10 ;
  • améliorer les conditions de travail de tous ;
  • vous passer de la nécessité de faire de la politique dans l’entreprise !

De son côté, le client voit s’améliorer la qualité, les délais et l’écoute active de ses besoins.

Une dernière recommandation : arrêter la politique en entreprise, c’est comme d’arrêter de fumer… N’hésitez pas à vous faire accompagner !

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