
(Chez Toyota, on fait aussi du management par objectif !)
Ce second article fait suite à l’histoire de NUMMI et ses nombreux enseignements sur le management Lean (à retrouver ici).
Durant le Lean Summit 2018, nous avons eu la chance d’assister à la masterclass de Isao Yoshino, manager chez Toyota durant 40 ans et sensei passionnant à écouter sur le rôle et les responsabilités du manager chez Toyota.
Et le premier rôle du manager est de poser l’étoile du Nord en pratiquant un management par objectifs vu comme un challenge à relever pour développer les collaborateurs, le plus important étant finalement l’appropriation de la vision de l’entreprise par les employés via un alignement régulier de tous (le Hoshin Kanri, sujet d’un prochain article).
Toyota est par ailleurs connue comme une entreprise qui se fixe des objectifs paraissant a priori inatteignables. Selon Yoshino-san, ceci est un point extrêmement important car le fait de se fixer des objectifs très ambitieux permet de trouver des idées non conventionnelles pour résoudre les problèmes posés.
Une question quasi immédiate de plusieurs participants concerne évidemment la motivation des collaborateurs : comment assurer l’adhésion et la prise de risque nécessaires pour adresser ces challenges ? L’explication de Yoshino est limpide mais simplement contre-intuitive pour nous : chez Toyota, on fixe des challenges pour faire progresser les gens et apprendre tous les jours un peu plus sur notre métier. Par conséquent, on récompense d’abord les gens qui apprennent, même s’ils n’atteignent pas entièrement les objectifs car on sait, vu tous les problèmes qu’ils auront résolus en chemin, qu’ils auront fait de leur mieux et qu’ils auront permis à eux-mêmes, à leurs équipes et finalement à toute l’entreprise de progresser pour une meilleure satisfaction du client. Du fait, et de manière finalement amusante, une autre question sur le management par la pression lui semble totalement incompréhensible : les collaborateurs ne seront jamais blâmés s’ils apprennent…
Une fois les objectifs posés, le manager doit donc à présent s’assurer de mener son équipe à bon port. Et là encore, on constate que la vision de Toyota est à rebrousse-poil de la vision traditionnelle du management qui est souvent la nôtre : il devrait toujours y avoir plusieurs façons d’atteindre un même objectif. En d’autres termes, un manager doit permettre à son équipe d’essayer par elle-même pour choisir la meilleure option. Tout simplement. La métaphore employée par Yoshino est d’ailleurs très poétique : « il y a 6 chemins pour atteindre le sommet du Mont Fuji ». Mais ceci n’est réalisable que si le manager est présent en continu auprès de ses équipes, donc sur le terrain, pour les encourager, les aider à résoudre leurs problèmes. Du fait, on trouve assez rarement les managers de Toyota dans leurs bureaux !
Et ceci constitue une très bonne introduction aux points clés de l’attitude du manager : aller sur le gemba, obtenir l’information par eux-mêmes et favoriser l’émergence des problèmes au plus tôt.
Le gemba, le lieu où se déroule la production de valeur, doit devenir l’habitat naturel du manager Lean. En se fiant au reporting, on essaie juste de se distancier de la réalité, de s’en dédouaner en quelque sorte. La confrontation au gemba permet de se rendre compte des problèmes effectivement rencontrés par les collaborateurs (voir dans l’exemple illustré en vidéo ici) et de faire face ensemble (notamment grâce au management visuel.) Ce concept est difficile dans nos approches traditionnelles où le nombre de m2 du bureau est proportionnel au « pouvoir » que nous pensons détenir. Le véritable pouvoir du manager Lean, c’est le nombre de problèmes / améliorations qu’il a fait émerger par ses équipes sur le gemba.
Dans le même ordre d’idée, un manager doit se préoccuper d’aller chercher directement les informations au lieu d’attendre patiemment qu’elles viennent à lui sous la forme de rapports. D’abord parce que comme le dit Cécile Roche : « un reporting en dit bien plus sur celui qui l’a écrit que sur les faits qu’il veut décrire », ensuite parce que l’aspect pro-actif de la recherche d’information est double : on voit beaucoup plus de choses sur le terrain (circonstances, attitudes et habitudes, etc…) et l’information est au plus près des problèmes donc permet de mieux les résoudre.
Et dans cet exercice de mentoring et d’apprentissage permanent des équipes, il est donc crucial que le manager encourage la mise en évidence des problèmes, au plus vite. « No problem is a huge problem ». Plusieurs cas récents et plutôt dramatiques dans l’actualité montrent que le management traditionnel favorise au contraire la mise sous silence des problèmes rencontrés, par peur du blâme. Ces problèmes non adressés peuvent conduire à des catastrophes écologiques, humaines, industrielles… Même sans aller jusqu’à ces cas extrêmes, il est aisé de se rendre compte que demander aux collaborateurs de se battre pour l’entreprise tout en les empêchant d’améliorer leurs pratiques est au mieux contre-productif, au pire complètement démobilisateur. Le manager Lean a donc un véritable rôle de sécurisation des équipes et de garantie de support à la résolution de problèmes, attitude qui doit d’ailleurs être celle de toute la chaîne managériale jusqu’au PDG. On en revient ici au fait que le chemin parcouru en terme d’apprentissage est tout aussi important pour l’entreprise que les résultats obtenus, les deux allant très souvent de pair de fait même si il peut y avoir un décalage temporel.
Car chez Toyota, de manière générale, on encourage l’amélioration continue sous toutes ses formes, et le manager est le rôle clé pour parvenir à animer ce difficile exercice quotidien. Le premier pas est d’être un éternel insatisfait et toujours vouloir soi-même s’améliorer. L’humilité est une qualité pré-requise (« if you think you are smarter, you become arrogant and you stop learning »). Cette attitude doit aller de pair avec une envie de comprendre de manière exhaustive ce qui se passe, en recherchant la cause racine sans rester superficiellement au niveau des rustines permettant de protéger l’expérience client. Le but est véritablement de supprimer la cause du problème afin d’améliorer durablement le produit ou le système de production. Et lorsque l’on améliore et que l’on retire des obstacles à la production, assez logiquement, on réduit les coûts, ce qui améliore la marge et permet la compétitivité. Les employés de Toyota ont tous à l’esprit l’équation « prix de vente – coûts = profit » et non « coûts + profit = prix de vente », ce qui reviendrait à faire payer au client sa propre inefficacité.
Mais tout ceci ne peut se réaliser que si le manager garde à l’esprit sa mission clé qui est de développer ses collaborateurs, cela repose sur quatre points essentiels :
- « Bad news first ! » (les mauvaises nouvelles d’abord) : changer le point de vue des collaborateurs sur leurs problèmes, ce sont avant tout des possibilités d’apprendre et d’améliorer leur geste métier et non un blâme en devenir. De fait, le manager doit garantir en permanence la possibilité de « sortir » les problèmes, il doit même les rechercher en premier lieu.
- « Never be afraid of failure, failure is the mother of success » : un autre changement radical par rapport à notre culture managériale classique, cette fois plutôt européenne, les anglo-saxons étant déjà familiers avec l’idée : un échec n’a rien d’absolu, il est avant tout une opportunité d’apprendre et de progresser, apprentissage qui pave la route du succès.
- « When assigning a task, don’t give too much instructions » : selon Yoshino-san, le respect tient d’abord dans la reconnaissance de la créativité et du point de vue de chacun pour contribuer de la meilleure manière possible à la résolution de problème, même si ces idées sont différentes des nôtres !
- « People grow as they look at the back of their boss » : l’exemplarité est nécessaire au développement des personnes, « faites ce que je dis, pas ce que je fais » n’est pas à l’ordre du jour chez Toyota !
En conclusion, Yoshino-san nous rappelle à tous la nécessité quotidienne de réaliser ces différents points, la clé du succès se trouvant d’abord dans la régularité et le fait de progresser chaque jour, ensemble, au service du client.
Excellent article! Merci
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