Dirigeants Lean – que pouvez-vous attendre de vos départements fonctionnels ?

Dirigeants Lean – que pouvez-vous attendre de vos départements fonctionnels ?

Il faut de la cohérence dans une transformation et il est indispensable d’étendre le lean à ses fonctions

Toute transformation lean commence par les départements les plus opérationnels : l’usine et la supply chain dans l’industrie, la chaine front / back office dans la banque et l’assurance, les travaux et la maintenance dans la gestion de réseaux, etc… Le dirigeant de l’entreprise qui se lance dans le lean va consacrer trois ans ou plus de sa vie professionnelle à réconcilier vision stratégique et amélioration de terrain et à animer à tous les étages une culture et une pratique (le kaizen) de la réduction des défauts, des délais et des gaspillages.

Vaste chantier qui va faire émerger petit à petit la nécessité d’obtenir une contribution active de ses départements fonctionnels. Les raisons évoquées sont multiples :

Travailler l’esprit de corps

  • Si nous (les directions opérationnelles) nous lançons dans cette révolution qui demande de l’énergie et du dévouement, pourquoi eux (les fonctionnels) restent-ils sur le côté à nous observer ?
  • A l’inverse, si eux (les opérationnels) se lancent dans cette transformation, comment montrer que nous (les fonctionnels) souhaitons apporter notre contribution ?

Partager les méthodes

  • Si les uns commencent à aborder les sujets en suivant une démarche scientifique[1], il devient très difficile de collaborer avec d’autres qui restent sur des méthodes plus traditionnelles de gestion des sujets. « A dire d’expert », « le client veut ou ne veut pas », « reparcourons le fichier excel des actions », tout ce temps passé sans avoir bien défini le problème génère des tensions nouvelles.

Obtenir des améliorations

  • Il est possible pendant une période de temps de dire aux opérationnels « améliorez-vous déjà chez vous avant d’aller chercher l’amélioration chez les autres », il arrive un temps où le « déjà » est réalisé et où l’attente devient forte que chacun dans l’entreprise contribue à hauteur de son champ d’action.

Sans même savoir ce qu’il peut attendre de l’adoption du lean par ses fonctions, le dirigeant doit savoir qu’il n’aura pas la même implication de ses opérationnels s’ils ont l’impression de porter seuls l’ambition d’amélioration.

Deux façons possibles d’entamer une démarche lean

Qu’attendre du lean dans les départements fonctionnels ? Comment le dirigeant peut-il embarquer sa direction des achats, de l’immobilier, des services informatiques ou comptables ? Voir même des directions centrales qui supervisent les opérations (directions commerciales, produits, marketing, etc…).

La décision la plus fréquente est de « faire du lean sur soi-même ». La direction des achats va essayer de réduire ses délais sur le processus de sélection et de contractualisation avec un fournisseur. La DSI va chercher à mieux maitriser son triptyque projet « scope, coût, délai », les RH vont vouloir devenir plus efficaces dans la gestion de la paye et le taux de participation aux formations, etc…

C’est une approche respectable parce qu’il est aussi difficile de s’améliorer dans un département fonctionnel que dans un département opérationnel. Les résultats obtenus vont alimenter le flux des bénéfices obtenus par le lean plus globalement et on ne peut qu’en remercier les équipes et leur management.

Mais… Mais c’est ne pas accorder assez d’attention à ce qui servirait le client plutôt que le management de l’entité fonctionnelle. Reprenons l’exemple de la direction des achats.

Le dirigeant de l’un des plus grands distributeurs européens avait pris conscience lors d’un gemba dans un hypermarché que les hôtesses de caisse perdaient en permanence du temps à remettre du papier dans l’imprimante des tickets client. Il leur a demandé ce qui se passait : le papier de mauvaise qualité faisait un bourrage dans l’imprimante. Il fallait donc, pour près de 60 % des clients, arrêter l’impression, ouvrir le capot de l’imprimante, retirer le papier abimé, remettre le papier, relancer l’impression du ticket.

Revenu au siège, il a demandé à son directeur des achats ce qu’il était possible de faire. Rien, puisque le fournisseur de papier répondait à tout le cahier des charges et était le moins cher du marché…

Je dispose d’« anecdotes » similaires dans les achats, l’informatique, le contrôle de gestion, les RH, etc, etc… Il s’agit parfois de petits sujets qui rendraient la vie des opérationnels plus facile. Il s’agit souvent de sujets qui coûtent des sommes très importantes aux entreprises (une à deux hôtesses de caisse supplémentaires dans les hypermarchés concernés, si je reprends le cas cité) et qui peuvent pénaliser les clients (longue attente aux caisses).

Le dirigeant et les responsables de ses départements fonctionnels ont donc deux voies possibles d’amélioration :

  1. Avoir comme fil directeur de contribuer à générer plus de valeur pour les clients et donc à soutenir l’action de leurs interlocuteurs
  2. Trouver dans les processus de la fonction les sujets à améliorer.

Prenons un exemple dans l’informatique.

Partir des clients

Le DSI d’un autre distributeur, spécialisé dans un domaine cette fois-ci, entreprend de visiter des boutiques dans plusieurs pays. Il en « tombe de sa chaise » : créditer les points de fidélité des clients demande plusieurs minutes et nécessite souvent l’intervention de deux vendeurs (les files d’attente s’allongent et certains clients reposent leurs produits et quittent la boutique). Les rayons sont approvisionnés de produits de démonstration mais un client sur quatre se voit proposer de revenir chercher le produit car les stocks sont vides, alors même que les reportings de la supply chain ne le montrent pas. Quant aux moyens de paiement un peu sophistiqués sur lesquels la direction commerciale a beaucoup investi (paiement dans une autre devise, paiement en trois fois sans frais), les vendeurs ne les proposent pas car personne ne les leur a présentés. Les horaires d’ouverture des boutiques ne sont pas à jour, le point a été remonté au support qui ne voit pas comment les modifier (sic), etc.

Le DSI décide que son initiative lean va se lancer sous le titre « 101 Quick wins » et visera à simplifier la vie des clients et des vendeurs.

Partir de l’informatique

Le DSI d’une banque organise le déploiement du lean sur ses différentes équipes, chacune d’entre elles définissant ses objectifs d’amélioration. Les sujets émergent plutôt rapidement : réduire les délais d’ouverture des flux, réussir les changes, livrer plus de BI, voir même accélérer le décommissionnement. Tout le monde à la DSI s’accorde à dire que ce sont de bons sujets, voir même des sujets avec un vrai impact RSE. Y aura-t-il un client qui sera mieux servi à l’issue de ce programme, rien n’est certain.[2]

Yves Caseau, dans son livre « L’approche lean pour la transformation digitale », a comme sous-titre : « du client au code et du code au client ». Alors, par où commencer ?

Vers une roadmap du lean dans les fonctions

Le 1er point à bien comprendre est celui que Godefroy Beauvallet présente dans le premier édito du « projet Lean en France », c’est qu’il faut « commencer ici et maintenant ». Réfléchir longtemps à comparer différentes approches possibles est une occasion perdue de commencer à améliorer et surtout de commencer à comprendre la puissance du lean management. Donc, lancez-vous.

Le 2e point est que la balance penche paradoxalement très largement en faveur de déployer le lean sur soi-même avant de s’ouvrir aux autres. Il ne s’agit pas d’une vision optimisée de l’impact du lean mais d’une approche pragmatique : s’intéresser à améliorer le système quand soi-même on travaille dans la difficulté est assez illusoire. Je me souviens d’une intervention de Chloé Bouvel, directrice générale d’Eurofins Bâtiment et ex manageuse dans l’usine Toyota de Valenciennes : elle expliquait que la nature des améliorations à apporter dans son département d’Eurofins lui avait sauté aux yeux mais qu’elle avait mis un point d’honneur à d’abord résoudre les problèmes de ses équipes (« enlever les cailloux de leurs chaussures »). Je connais une entreprise de 70 000 personnes, leader mondial dans son domaine, qui en a fait la priorité de ses manageurs : retirer les problèmes qui empêchent les employés de réussir pleinement leurs journées.

Le 3e point est que chaque initiative lean, chaque discussion autour du lean, soit l’occasion de se demander en quoi le client va en bénéficier. Il faudra souvent commencer par identifier de quel client on parle, il faudra ensuite avoir le courage de sortir d’une discussion du café du commerce sur ses attentes pour se rapprocher de lui et voir à quel moment, à quel endroit, les actions proposées vont lui être bénéfiques. Et enfin, il faudra être honnête : si le résultat ne plait pas au client, il faut l’accepter comme un fait et essayer de faire mieux. Mettre le client dans les discussions sur les processus va petit à petit développer une culture du service et une fierté vis-à-vis des actions conduites.

Le 4e point est le gemba. Il faut que les dirigeants des activités fonctionnelles sortent du siège et aillent voir comment les processus sont opérés dans les activités au service des clients. Il faut qu’à l’issue de ces gemba, ils prennent un problème dont la résolution leur incombe et qu’ils engagent l’amélioration sur le sujet. Cela leur permettra de comprendre sur quoi faire évoluer la culture managériale de leur département.

En conclusion, que faut-il attendre d’une telle démarche ?

  1. Se réconcilier avec les clients et les utilisateurs. Le DSI bancaire cité plus haut a réservé une partie de son énergie « lean » au traitement des incidents et des demandes de service. En un an, la satisfaction des employés de la banque vis-à-vis du SI est passée de 2,4 sur 5 à 3,5.
  2. Améliorer la QVT de ses équipes. Sujet sensible car il est plus difficile d’avoir le moral dans des équipes fonctionnelles qu’on ne l’imagine. Avec le lean, chacun connait mieux sa contribution et dispose des moyens de mieux travailler.
  3. Obtenir des impacts sur la création de la valeur de l’entreprise. Faire en sorte que chaque équipe de terrain soit complète, améliorer la qualité des fichier clients, entretenir les matériels correctement, ne jamais terminer un projet sans vérifier que tout fonctionne de façon fluide sont autant de sujets qui vont permettre aux commerciaux de vendre, aux ouvriers de produire et aux comptables de facturer.

Et, pourquoi pas, obtenir une meilleure harmonie au sein des comités de direction ?

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[1] Je pose le problème de façon explicite et quantitative, je vais sur le gemba pour identifier et comprendre les causes, je travaille le côté rationnel du plan d’actions pour qu’il adresse les causes et je ne lâche rien tant que la mesure ne démontre pas que le problème se résout. Il s’agit de suivre le fil directeur du PDCA.

[2] Aucun des deux sujets n’est sorti de mon imagination et aucun des deux ne raconte une situation spéciale, sortant de l’ordinaire.

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