Lorsque je suis entré dans le monde du travail, j’étais jeune et pétri de bonne volonté. Naïvement, je pensais que l’on allait au bureau dans le but de satisfaire nos clients, donner le meilleur de nous-mêmes et s’organiser pour produire le plus de valeur possible. Las ! Quelle ne fût pas ma désillusion …
L’atterrissage s’est avéré rude et j’ai été frappé par deux éléments qui m’ont semblé d’une grande violence. Le premier a été la rigidité d’organisations bureaucratiques et la sensation d’arbitraire qu’elles infligent aux collaborateurs. Ce sentiment que, quoi que l’on fasse, on ne pourra rien changer : il faudra se résigner à faire les choses de façon absurde. Rejoignant une grande organisation technologique, j’imaginais rejoindre des équipes de passionnés dont le but était d’innover. Je réalisais, dépité, que l’entreprise n’était qu’une déclinaison sophistiquée d’organisations sociales semblables à celles des grands singes, organisations dans lesquelles primaient le pouvoir et la représentation du statut de chacun. Le second élément a été cette assertion assénée en permanence par des collègues plus âgés et plus « sages », comme une chape de plomb : c’est ainsi partout dans le monde du travail et il ne peut en être autrement.
Depuis lors, ma trajectoire professionnelle n’a eu pour raison d’être que de déconstruire ces deux propositions et montrer qu’il existe d’autres façons de vivre sa vie professionnelle, plus saines, sans avoir à (trop) subir ces deux formes de violences sociales.
Déconstruire l’absurde
Le second point a été le plus facile à déconstruire et à voir pour ce qu’il est : des cadres découragés qui tentent de se convaincre que leur résignation est davantage un signe de lucidité qu’un compromis en échange de l’illusion de la sécurité de l’emploi. Une carrière d’indépendant à l’étranger m’a permis de valider l’hypothèse que 1/ dans l’économie de la connaissance, l’apprentissage permanent est le plus grand gage de liberté, permettant en outre de s’affranchir d’organisations toxiques et 2/ la culture d’entreprise française comporte un certain nombre de particularismes démobilisateurs sur ces sujets : l’amour pour les organisations complexes, la distance hiérarchique, la culture de la défiance, le penchant pour la pensé abstraite et élitiste etc …
La première proposition, quant à elle, a été mise à rude épreuve lors de ma découverte de la culture startup et de l’agilité en 2004. La découverte du Lean Management en 2011 lui a porté le coup de grâce : ma recherche de contexte de travail vertueux avait trouvé une sorte d’idéal et voici pourquoi, en dix points …
De quel Lean parle-t-on ?
Avant toute chose, clarifions rapidement cette question. Nous parlons ici du Lean originel, celui de Toyota, basé sur le développement des personnes. Une démarche que l’on peut valider à l’aune des questions de l’INRS. Nous ne parlons pas ici de la déclinaison statisticienne (Lean 6Sigma), ni d’une démarche basée sur les outils (la première compréhension occidentale du Lean) et encore moins de démarche pilotée vue d’avion, par des planneurs.
Ce Lean se base sur de l’amélioration continue permanente, incarnée par de petites améliorations, chaque jour, plutôt que par des transformations radicales. Cette amélioration continue passe par la résolution de problèmes, par des équipes qui développent ainsi leurs compétences. Une approche Kaizen privilégiant les petits matins au grand soir, pourvue de nombreuses vertus, décrites ci-après.
1. Partons de là où nous sommes
Dans les grands projets de conduite de changement, l’objectif est de changer la manière de faire en imposant de nouveaux outils ou méthodes aux équipes. Il s’agit alors pour l’équipe de désapprendre ce qu’elle savait faire pour apprendre de nouvelles façons de faire.
Avec l’amélioration continue il n’y a pas de révolution. Nous avons deux objectifs : formuler les problèmes sous formes d’écarts de performance et travailler ensemble en s’appuyant sur l’approche scientifique du PDCA pour les résoudre.
Cette approche progressiste présente l’avantage de réduire la fameuse « résistance au changement ». Car il n’y a pas de changement dans la façon de faire, juste un changement de regard sur ce que nous faisons et comment nous le faisons, puis une approche par petits pas.
2. 100 fois 1% c’est trois fois mieux que 1 fois 100%
Exercice : prenez votre calculatrice et calculez l’amélioration totale de cent améliorations successives de 1 %. Maintenant, calculez l’amélioration totale de un changement de 100 %. La première approche apporte 270 % d’amélioration (1,01 puissance 100). La seconde une amélioration de 100 % (1 x 100 % pour ceux qui ont des doutes).
Dans une équipe de 10 personnes, si un problème est traité chaque jour par une personne de l’équipe, une personne prend en charge un problème tous les dix jours (toutes les deux semaines) et en 5 mois l’équipe peut simplement, en douceur améliorer de façon très significative sa performance et traiter ces 100 problèmes.
3. 100 fois 1 % c’est 100 fois mieux que 100 %
Deuxième avantage de l’approche progressiste sur l’approche radicale, avantage énoncé par Michael Ballé : 100 petites améliorations représentent 100 apprentissages
J’aime beaucoup cette métaphore de Steven J Spear : chaque problème opérationnel est une opportunité pour notre processus de glisser à notre oreille : « regardez par ici, il y a une autre chose que vous ignorez à mon sujet et si vous explorez ce problème vous allez le découvrir ».
Chaque résolution de problème est une opportunité pour une équipe d’apprendre une nouvelle chose sur son métier. De nombreux exemples viennent à l’esprit. Une équipe IT va apprendre à mieux vérifier la configuration de son système d’alertes dans son plan de production pour améliorer la disponibilité du système. Une chef de projet va apprendre à piloter la production de sa phase d’étude plutôt que piloter sa planification et ainsi diviser les délais de 50 % pour livrer une étude de grande qualité. Une équipe de vente à distance va apprendre à dire au client le mot juste pour réduire de 25 % les dossiers que ce dernier retourne incomplet. Une équipe de recouvrement va apprendre à mieux questionner le client pour identifier les bons leviers qui permettront de mieux l’aider et améliorer de 15 % son taux de régulation. Une équipe de back-office va apprendre à voir les gaspillages (stocks, attentes, retouches) sur son processus de recherche d’adresse pour en diviser le délai par deux.
Au delà de ces apprentissages métier, l’équipe apprend surtout à expérimenter des choses nouvelles. Le dispositif d’amélioration continue (suivi de la performance avec le management visuel, animation quotidienne, PDCA) offre un cadre simple et robuste qui incite à l’expérimentation. Et apprendre à expérimenter, c’est apprendre à apprendre, chaque jour, à tous les niveaux de l’organisation : un gage d’agilité organisationnelle. Par ailleurs, à travers cette approche, on permet aux équipes de développer les trois piliers de la motivation intrinsèque vulgarisés par Daniel Pink : autonomie, compétence et affiliation.
A suivre …
Dans la seconde partie, nous présenterons sept autres vertus de l’amélioration continue.
4 réflexions sur “Lean Management ou les vertus de l’amélioration continue (1/2)”