La réflexion : l’élément manquant dans la perception de valeur (2/2)

img_7834Dans la première partie de cet article nous décrivons la façon dont est perçue la contribution de valeur dans bon nombre d’entreprises. Cette perception est illustrée sous la forme d’une pyramide avec les outils comme base et la culture au sommet.

Dans ce second billet nous présentons une perception et un modèle différent de contribution de valeur ainsi qu’une illustration elle aussi différente. Cette perception se veut davantage vertueuse pour deux raisons : elle s’appuie d’une part sur les pratiques opérationnelles et d’autre part sur une capacité des collaborateurs sous-employée dans nos organisations : leur jugeote et leur capacité de réflexion.

Opérationnel et pratiques

Le premier élément ignoré dans ce modèle de perception de valeur pour l’entreprise, se situe au « plus bas niveau » : l’opérationnel. C’est là que l’organisation crée la valeur pour le client. Le fait qu’il ne soit que rarement évoqué dans ce modèle, est révélateur de la considération accordée 1. au client 2. aux personnes qui font le travail.

J’ai un souvenir très clair de la façon dont m’a apostrophé l’Agiliste Charles Couillard qui m’a ouvert les yeux sur ce sujet en 2009: “Vas-y Cecil : arrête un peu avec tes histoires de grand projet pour changer la culture : tu ne peux pas agir sur la culture. En revanche, ce que tu peux faire c’est agir sur les pratiques quotidiennes de ton équipe. En changeant les pratiques, tu verras la culture changer”. Cela a été une révélation.

Deux ans plus tard, alors que je travaillais sur un très gros projet, j’ai gardé ce conseil à l’esprit. Cela m’a permis de faire faire une avancée significative à mon entreprise d’alors. Sans relâche, j’ai travaillé sur les pratiques quotidiennes avec les acteurs de l’équipe de développement logiciel R&D : chefs d’équipe, Product Owners, managers, développeurs, testeurs, équipes UX etc.

En Lean, nous avons l’obsession de la valeur pour le client et de l’alignement de l’organisation pour créer cette valeur. Nous concentrons donc en premier lieu les efforts, non pas sur le « haut de la pyramide », mais sur les opérations et les pratiques quotidiennes pour s’assurer que le travail effectué est bien aligné sur la stratégie.

Dans la nouvelle version de la pyramide, nous mettrons l’opérationnel et les pratiques au premier niveau car c’est là que se crée la valeur pour le client ; c’est là que les équipes se battent et c’est là qu’il est possible d’agir directement sur la culture.

La réflexion : le lien manquant

Revenons à la définition de la culture d’Edgar Schein :

Un ensemble d’hypothèses basiques partagées, apprises par un groupe alors qu’il résout ses problèmes d’adaptation externe et d’intégration interne. Le fruit d’un apprentissage partagé.

Ce que le Lean apporte véritablement à l’organisation c’est la réflexion. Aussi vague et prétentieux que cela puisse paraître, c’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. Car le Lean n’est pas un ensemble de méthodes et d’outils, c’est une façon de penser. Pour tout le monde dans l’organisation. A chaque étage de la pyramide. A chaque niveau de la hiérarchie.

La pensée Lean : une méthode scientifique

Il ne s’agit pas là d’un nouveau concept de management inventé par une licorne de la Silicon Valley, une énième déclinaison des méthodes logicielles agiles ou de vagues hypothèses. Non, le Lean trouve son origine dans la méthode scientifique développée par Francis Bacon et la Royal Society au 17e siècle :

methode scientifique PDCA

Cette approche a été déclinée pour le monde professionnel par Shewart et Deming avec le cycle de PDCA : Plan-Do-Check-Act. Même si cela peut sembler un peu ennuyeux et dépourvu du glamour technologique du 21e siècle, c’est bien cette approche – basée sur 4 siècles d’histoire scientifique – qui a permis de sortir le monde du moyen-âge et de l’obscurantisme. Il va falloir être très pédagogue pour m’expliquer que cela n’est plus d’actualité.

Comment voyez-vous les choses ?

En remontant la pyramide de contribution perçue de la valeur, j’ai le sentiment que l’on a perdu de vue la notion de réflexion telle que définie par l’approche scientifique : observer (où la valeur est créée), définir le problème, poser des questions pour chercher véritablement les causes racines, formuler des hypothèses, les tester, mesurer les résultats et valider l’apprentissage.

Je note que bien souvent l’on propose des solutions, en matière d’outils (il vous faut un ERP, un CRM, une plateforme collaborative…), de processus (workflow, SCRUM), de méthode (agile, ITIL, …) sans avoir vraiment défini le problème au préalable.

Ce que la méthode scientifique nous apprend, c’est que l’on doit en premier lieu s’interroger pour ne pas se laisser influencer par des idées préconçues. Réfléchir c’est se poser des questions ce n’est pas partir sur des solutions toutes faites. Sur quelles observations nos hypothèses reposent-elles ? Quel est le problème (en termes d’écart mesuré) ? Comment nos solutions vont-elles réduire cet écart ? Comment le savons-nous ? Comment savons-nous que nous ne sommes pas en train de nous tromper ? Comment savons-nous ce que nous savons ?

Coaching et questionnement

Le rôle du coach Lean est d’aider les gens à réfléchir en utilisant cette méthode scientifique. C’est pour cela que je dis souvent que la différence entre un consultant et un coach est que le premier apporte des solutions quand le second apporte des questions (voir à ce sujet cet article indispensable de Jim Womack – l’homme qui a le premier décrit le Lean avec Dan Jones).

Ce qui peut sembler simple à première vue est en fait assez difficile, un peu comme arrêter de fumer. Cela exige de la discipline, une discipline de l’esprit. Cela requiert d’être très lucide sur sa façon de penser afin de prendre du recul sur les idées (et les solutions) qui nous traversent l’esprit quand on est face à une situation.

Le but du coach est d’avoir à la fois la pratique opérationnelle et la pratique de la résolution de problème, ce qu’explique fort bien l’article de Rother et Liker.

La réflexion et le changement de culture

Il est essentiel de regarder les choses sous l’angle « résolution de problème » pour chaque élément de la pyramide du travail et ce pour de nombreuses raisons.

Tout d’abord, cette façon de penser implique tout le monde dans la résolution de problème pour permettre à chacun, à son niveau, de supprimer les obstacles et aider l’entreprise à se rapprocher de ses objectifs stratégiques.

Ensuite, cela permet de s’assurer que l’on se focalise sur un bon problème et non sur une proposition de solution.

Troisièmement, cela aligne l’ensemble de l’entreprise sur la stratégie.

Quatrièmement, la résolution de problème favorise le travail en équipe en faisant travailler ensemble des gens de différents services sur un problème trans-organisationnel.

Enfin, c’est un levier pour engager la transformation culturelle car comme on l’a vu plus haut, la culture se développe par la résolution de problèmes (Schein).

Lean Thinking, la pensée Lean : arrêtons de croire que les gens ne réfléchissent pas

Le problème en se focalisant sur les outils, les processus, les méthodes, c’est que l’organisation a investi de l’argent et de l’énergie pour s’assurer que les gens ne réfléchissaient pas. C’est la citation de Barbara Garson (Electronic Sweatshop) :

« Un degré extraordinaire d’ingéniosité a été mis au service de l’élimination de l’ingéniosité humaine. »

C’est ce que Dan Jones appelle “Engineer people out of the process » que l’on pourrait traduire par « concevoir des systèmes pour en exclure les personnes ». Cela se révèle bien moins vertueux que prévu et il est même surprenant de la part d’entreprises qui disent, d’un côté, mettre l’humain en premier, investir tant d’énergie pour s’assurer de l’en sortir des processus.

Il est grand temps de remettre de la réflexion dans l’organisation, de la repenser : c’est ce que fait le Lean depuis 20 ans. 20 ans après sa publication, on ne peut suffisamment conseiller la lecture du livre de référence “Système Lean” de Womack et Jones (dont le titre original est Lean Thinking), ouvrage qui permettra aux organisations à remettre à l’endroit leur perception de contribution de valeur au sein de l’entreprise.

Réflexion, analyse, jugeote, renverser la pyramide

Pour atteindre l’objectif suivant :

pyramide-valeurs-lean-management

Remarquez que cette pyramide-ci permet de mener les efforts d’amélioration (Kaizen) dans l’ ordre préconisé par Taiichi Ohno : en commençant par les pratiques, au plus près de là où la valeur est créée pour le client.

Quelle et dans votre entreprise la perception de contribution de valeur ? Quel espace allouez vous à la rélexion de vos collaborateurs ? Comment se structure cette réflexion ? Comment est-elle alignée sur les objectifs et la vision de l’entreprise ?

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