Les dirigeants qui déploient le Lean management dans leurs organisations sont toujours satisfaits, si ce n’est impressionnés : les résultats[1] s’obtiennent en quelques semaines dès qu’un thème est abordé. Mais, ayant une vision à plus long terme, ils s’interrogent sur la capacité de leurs équipes à continuer à s’améliorer une fois l’accompagnement Lean terminé.
Voici un exemple de ce que réalise une équipe qui bascule vraiment dans le Lean management.
Le back office des virements internationaux
Le contexte
Il s’agit d’une équipe de 15 personnes travaillant dans une banque commerciale et en charge de traiter des virements internationaux.
Elle entame sa démarche Lean dans un contexte tendu : le stock de virements en attente de traitement est élevé et le délai de traitement est de 3 à 4 jours alors que les clients, de grandes entreprises, s’attendent à les voir réalisés le jour même. La situation dure depuis plusieurs semaines et les directeurs financiers de ces entreprises en ont été alertés par les comptables ; ils interpellent désormais le directeur général de la banque.
La pression qu’exerce le management sur l’équipe est très forte. La pression qu’exercent les clients l’est tout autant : étant inquiets de la date à laquelle seront traités leurs virements, ils appellent constamment l’équipe, directement ou via leurs chargés de compte, pour que leurs demandes soient en haut de la pile. Les collaborateurs sont usés par le téléphone qui sonne, les recherches dans le stock pour trouver tel ou tel virement, les injonctions du management.
L’installation du Lean management
Dès le démarrage de leur démarche Lean, la responsable d’équipe, Carole, et son équipe décident de tester une organisation en flux tiré. Comme le dit Carole : “au point où on en est, toute idée nouvelle est bonne à prendre…” Et comme elle est réellement déterminée à sortir de cette situation déplaisante, elle se fixe un objectif de traiter le jour même tous les virements arrivés avant 17h00 et elle se met à challenger Philippe, son coach Lean, qui n’en revient pas !, en lui demandant d’aller directement à ce qui peut être le plus efficace.
Avec son aide et une bonne exploration du “Toyota Way Fieldbook” de J. Liker, Carole et son équipe décident de mettre en place l’organisation suivante :
- Un poste de tri : la personne qui l’occupe sépare les virements entre “simples”, “complexes” et “à réparer” lorsque certaines informations sont manquantes ;
- Une cellule de réparation : elle récupère les virements “à réparer”, issus du poste de tri comme des postes de traitement, et se charge d’obtenir les informations manquantes ;
- Deux équipes de traitement des virements, l’une pour les simples et l’autre pour les complexes.
Tous les matins, les différents postes sont ouverts en fonction des volumes à traiter. Chacun se positionne sur l’une ou l’autre des activités en plaçant un magnet d’une couleur (jaune pour le tri, blanc pour la réparation, etc…) sur un grand plan représentant leurs bureaux. A l’heure du déjeuner, l’organisation est revue pour s’adapter à la nature des opérations qui sont arrivées dans la matinée.
Tous les matins aussi, les collaborateurs calculent la performance de la veille et se fixent l’objectif de virements à traiter de la journée. Par exemple, si les jours précédents la productivité a été de 75 virements en moyenne par personne et par jour, et s’ils sont 12 à travailler ce jour-là, l’équipe propose de réaliser 75 x 12 = 900 virements dans la journée.
Cette réunion se termine par la liste des problèmes identifiés la veille. L’équipe sait qu’un problème est un obstacle qui l’empêche de traiter normalement un virement et elle en identifie … beaucoup. Il y a bien sûr les données qui manquent et empêchent de traiter le virement, la lisibilité de certains fax, le côté exotique de certaines opérations (il est peu fréquent de réaliser un virement à destination du Bhoutan par exemple), certains changements interbancaires, les erreurs de saisie, etc… Lorsqu’un problème a été résolu, la solution trouvée est aussi partagée entre tous lors du point du matin.
Une fois les trois sujets traités (organisation, performance et identification des problèmes), la journée démarre. Les 900 virements à traiter sont matérialisés au fil de l’eau sur une table par la personne en charge du poste de tri. Cela va éviter l’anarchie générée par le stress des clients : ceux que l’on veut voir traiter aujourd’hui sont juste mis en haut de la pile. Les virements au-delà des 900 restent dans un stock à part, ce qui va limiter le stress de l’équipe. Enfin, Carole place des indicateurs sur les piles de virement pour montrer le rythme de travail : 140 virements par heure, c’est à dire ce que devrait produire l’équipe si tout se passait bien. Et si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y a un problème, qu’il faudra noter puis résoudre.
D’ailleurs chacun dispose d’une heure et demie chaque semaine pour travailler sur les problèmes, avec Carole et le coach Lean.
Les résultats
En cinq semaines, l’équipe de Caroline a tué son stock. Une vraie victoire qui se traduit quelques jours plus tard par un email de remerciement d’un grand client, le premier depuis bien longtemps. L’ambiance est devenue studieuse, ce que les collaborateurs apprécient vraiment après ces mois de bourdonnement. Ils apprécient aussi :
- d’avoir pu partager leurs difficultés et d’avoir trouvé de l’aide et de la ressource auprès de leurs collègues pour les résoudre une à une ;
- d’avoir gagné en autonomie car ce n’est plus Carole qui affecte les tâches. Elle fixe le cap de la journée, les accompagne sur certaines difficultés et prend en charge le reporting et les réunions. Eux s’auto-organisent. Carole aussi dit avoir gagné en sérénité.
A la fin des huit semaines d’implémentation du Lean management, Carole demande à son directeur régional de lui fournir plus d’activités car l’équipe fonctionne maintenant en sous-régime. Elle obtient ainsi de prendre en charge une liste de clients de type “grandes PME” dont les virements restaient traités par les agences entreprises. L’esprit de la démarche Lean est atteint : des clients satisfaits, des collaborateurs plus sereins et plus de “temps commercial en agence”, ce qui est la clé du succès d’une banque, tous les banquiers en sont convaincus.
L’amélioration continue – année 1
J’avais suivi Carole, Philippe et le directeur régional pendant la mise en œuvre du Lean management. Je suis revenue voir Carole, avec son directeur, une fois par trimestre pendant un an. Chaque visite a été l’occasion de constater une évolution positive de la performance :
- Les virements arrivés avant 17h00 étaient toujours traités avant 17h00 malgré une augmentation significative de volume ;
- La fiabilité de la saisie qui était restée un point d’inquiétude s’est améliorée de façon continue au fil de l’année ;
- La productivité qui avait déjà augmenté de 60 à 75 opérations par jour et par personne pendant le projet (+25 %) a atteint 82 en fin d’année.
Et chaque visite a aussi été l’occasion, pour Carole et son équipe, de présenter de nouvelles améliorations sur des sujets anciens et des sujets nouveaux.
Par exemple, la question d’améliorer la fiabilité des virements restait ouverte. Pour sécuriser le client (il n’y a rien de plus agaçant qu’une opération bancaire faite le mauvais jour ou sur le mauvais montant, ou sur le mauvais compte). En pourcentage du volume, le nombre d’erreurs était très faible mais chaque erreur représentait un vrai risque commercial et financier pour la banque. Le système de double validation avait stabilisé les erreurs au niveau de 2 pour 1 000 opérations. Comment faire pour les diviser par 10 ?
Des esprits moins Lean que ceux de Carole et son équipe parlaient de “fatalité des erreurs humaines”. Elle n’en était pas du tout convaincue et je l’avais incitée à rencontrer la responsable qualité d’une usine qui fabriquait des pièces pour l’automobile. Le taux de non fiabilité était de l’ordre de 300 défauts par million de pièces, soit 7 fois moins que celui de Carole. Elle a vu dans l’usine comment était mis en pratique le “jidoka”, démarche qualité du Lean management, et notamment comment s’appliquait le principe de l’auto-contrôle. Les idées plus claires, elle a monté un groupe de travail avec certains de ses collaborateurs pour voir comment l’appliquer au métier des virements et le taux de défaut des saisies a été divisé par 5 en deux mois.
L’amélioration continue – année 2
Je n’ai pas eu l’occasion de retourner sur ce site l’année suivante et je n’avais que des nouvelles indirectes : d’autres back offices en charge de virements avaient suivi le même chemin et l’ensemble de la filière s’améliorait.
A suivre : l’amélioration continue Année 3
[1] En Lean management, les résultats opérationnels se définissent par le sourire du client, l’efficacité opérationnelle et le moral des salariés.
Une réflexion sur “Lean et amélioration continue – où comment multiplier sa productivité par 22,5”