Lean et développement durable : le mariage parfait !

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Partie 1 : comprendre ensemble ce que nous voulons réussir

Pourquoi les entreprises devraient-elles s’intéresser au Lean tel que le pratique Toyota ? Bien entendu, pour ré-enchanter leurs clients, en vendant des produits d’une qualité irréprochable, en diminuant les délais et les coûts tout en valorisant et favorisant les contributions intellectuelles de TOUS ses employés et fournisseurs.

Dans le contexte de la reconstruction économique du Japon après-guerre, l’Histoire a également amené Toyota à adopter un développement durable, sans pleinement appréhender la force de ce choix pour le reste de la planète. Au-delà de la démarche économique, Toyota s’attache depuis toujours à avoir une empreinte sociétale positive, notamment vis-à-vis de ses fournisseurs et des bassins de population où se trouvent ses propres usines. Depuis deux décennies, Toyota s’est également choisi des objectifs environnementaux. Naturellement, chez Toyota, qui dit objectifs dit challenge, donc écart, donc problèmes à résoudre. Tout aussi naturellement, le caractère scientifique des outils du Lean est un levier indispensable pour relever le défi que s’est lancé l’entreprise en matière de développement durable. Si chacun se fait une image plutôt claire du Lean, selon deux écoles : le Lean de Toyota et celui des autres, qu’en est-il du développement durable aujourd’hui, et qu’est-ce que cela implique pour les entreprises qui voudraient se parer de ses vertus ? Tout d’abord, un peu d’Histoire…

Préserver les matières premières pour préserver l’activité

La première trace écrite d’une réflexion menée sur ce qui se rapproche le plus du développement durable ou de son alter égo le « développement soutenable », est probablement à porter au crédit de Brunoy, de par son ordonnance du 29 mai 1346. Édictée par Philippe VI de Valois, elle décrit dans son 4e article la préoccupation d’organiser la filière du bois en préservant les capacités futures prodiguées par les forêts :

« Les maîtres des eaux et forêts enquerront et visiteront toutes les forez et bois et feront les ventes qui y sont, en regard de ce que lesdites forez se puissent perpétuellement soustenir en bon estat » (JEGOU, 2007)[1].

Le principe de responsabilité

Cette introduction oppose délibérément les notions de satisfaction immédiate d’un besoin individuel, peut être exagérée, avec la préoccupation que nos contemporains, et surtout les générations futures, puissent raisonnablement espérer jouir des mêmes potentialités que les nôtres. Elle confronte la satisfaction immédiate et concrète à une (in)satisfaction future hypothétique. Au fil du temps, nos sociétés ont cherché à lever le doute sur ce futur afin, justement, de ne pas renoncer inutilement aux potentialités d’aujourd’hui. Les conférences sur le climat des 20 dernières années démontrent la préoccupation croissante des gouvernements. Avant cela, en 1979, Hans Jonas, dans son livre « Le principe de responsabilité », fut l’un des premiers à s’inquiéter de l’éventuelle disparition de l’homme de par son emprise trop forte et non maîtrisée sur la nature. L’Homme ne serait plus dépendant de la Nature, mais celle-ci serait devenue dépendante de l’Homme. Il définit alors un devoir, le « principe de responsabilité », qu’aurait l’Homme de s’abstenir de développer une activité ou une technologie qui pourrait compromettre son existence en compromettant sa relation avec la Nature.

Distinguer les capitaux sous la responsabilité de l’Homme

Le développement durable dit « faible »

Cette notion, fort bien admise dès le milieu des années 80 a conduit à une définition du développement durable encore d’actualité aujourd’hui, même si ce n’est pas la seule :

Le développement durable est « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »[2]. Nous sommes sortis des « forez » évoquées par Brunoy, mais la hauteur de vue de nos contemporains n’a guère tiré profit de 650 ans de mûrissement de la Société.

En 1988 a suivi la création du Groupement Inter-gouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), dont les travaux de compilation des informations sur le changement climatique sont aujourd’hui la source prédominante d’informations (et de polémiques) qui porte les réflexions des hommes politiques à l’échelle mondiale.

En 1992, le Sommet de la Terre à Rio, s’est tenu sous l’égide des Nations unies. A cette occasion, les gouvernements ont reconnu la nécessité repenser leurs politiques afin de s’assurer que la sphère économique prenne des décisions intégrant pleinement l’impact environnemental associé. Bien que reconnaissant les trois enjeux du développement durable que sont l’environnement, l’économie et la Société, ces déclarations, diplomatie oblige, n’étaient pas assorties d’objectifs chiffrés pour les Etats et encore moins de contraintes à s’en choisir. Or, comme nous le savons, pour qu’il y ait des problèmes à résoudre, il faut qu’il y ait un écart à la cible. Pas de bras, pas de chocolat ! Il y avait également une forme de perversion de la pensée autour des trois enjeux du développement durable. En effet, il était largement admis que ces capitaux étaient compensables entre eux. En forçant le trait, on pouvait produire de l’électricité verte en faisant courir des esclaves dans des roues à hamsters géantes : le bienfait écologique compensait le méfait sociétal.

De la « compensation globale » à la préservation distincte des capitaux financiers, environnementaux et sociétaux : le développement durable dit « fort ».

En 1994, l’un des pionniers du développement durable, John Elkington, posa pour la première fois le concept de la Triple Bottom Line : le triple bilan. Les « trois piliers » du développement durable y sont définis : People, Planet, Profit.

En 1997, John Elkington aboutit sa réflexion en publiant un livre qui fait date :
« Cannibals with Forks: the Triple Bottom Line of 21st Century Business »[3]. La notion de triple bilan y est explicitée : le développement durable n’est atteint que lorsque chacun des trois bilans est en équilibre, séparément.

 

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La même année, le 11 décembre, est signé le protocole de Kyoto, visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les objectifs étaient chiffrés. Quelques moyens d’y parvenir étaient identifiés. Les principes stratégiques du triple bilan étaient définis, mais il y manquait des principes un peu plus opérationnels ! Ce point d’importance fut traité en 2000 par la Convention sur la Diversité Biologique qui a défini 12 principes de gestion de l’approche écosystémique, aussi appelés « principes de Malawi ». Ces principes directeurs évoqués reprennent des idées forces exprimées pendant les 40 années précédentes :

« Principe 1 : les objectifs de gestion des terres, des eaux et des ressources vivantes sont un choix de société »

Ne pas se fixer de challenge est la meilleure façon de ne rien faire. Ce choix nécessite l’alignement de l’ensemble des acteurs de la société.

« Principe 2 : la gestion devrait être décentralisée et ramenée le plus près possible de la base. »

On peut faire le parallèle avec une idée force du Lean management : c’est sur le terrain qu’on trouve les bons problèmes et qu’on les résout !

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« Principe 3 : les gestionnaires d’écosystèmes devraient considérer les effets (réels ou potentiels) de leurs activités sur les écosystèmes adjacents ou autres. »

Faire propre chez soi n’a pas de sens si cela salit chez les voisins !

« Principe 4 : compte tenu des avantages potentiels de la gestion, il convient de comprendre l’écosystème dans un contexte économique. Tout programme de gestion d’écosystème devrait :

  • Réduire les distorsions du marché qui ont des effets néfastes sur la diversité biologique ;
  • Harmoniser les mesures d’incitation pour favoriser la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique ;
  • Intégrer dans la mesure du possible les coûts et les avantages à l’intérieur de l’écosystème géré. »

Les 3 points élégamment présentés dans le principe n°4 évoquent l’air de rien un concept fondamental :

L’externalité. C’est une chose, matérielle ou non, dont le coût est absent du prix de ce que l’on vend. Le prix du produit ou du service acheté ne reflète donc pas la réalité de son coût. Ne pas intégrer ce coût, alors que d’autres le font, crée une distorsion de marché – et généralement un alignement sur les pratiques les moins vertueuses –. Pire encore, occulter les externalités prive le client de la possibilité de faire un choix éclairé ! En leur temps, les clients de Nike, Lehman Brothers et Volkswagen ont gardé un souvenir ému de ce type de « cachoteries ». Comme le rappellent les trois références précédentes, on trouvera des externalités sur chacun des trois bilans :

  • Sur le bilan financier, il s’agira plus particulièrement des subventions ou de la destruction du capital de la société.
  • Sur le bilan sociétal, il peut s’agir par exemple de la santé des salariés, du déplacement de populations pour faire place à l’activité, de nuisances sonores.
  • Sur le plan écologique, il s’agira entre autres de l’ensemble des pollutions de l’eau, de l’air et la perturbation des cycles naturels.

« Principe 5 : conserver la structure et la dynamique de l’écosystème, pour préserver les services qu’il assure, devrait être un objectif prioritaire de l’approche systémique. »

« Principe 6 : la gestion des écosystèmes doit se faire à l’intérieur des limites de leur dynamique. »

« Principe 7 : l’approche par écosystème ne devrait être appliquée que selon les échelles appropriées. »

En prenant l’échelle de la Terre entière comme écosystème, on peut planter des arbres sur la péninsule du Kamchatka pendant qu’on rase les forêts de Guinée Equatoriale. Une telle approche paraît absurde, mais je ne serais pas étonné de trouver quelques entreprises qui en ferait leur miel.

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« Principe 8 : compte tenu des échelles temporelles et des décalages variables qui caractérisent les processus écologiques, la gestion des écosystèmes doit se fixer des objectifs à long terme. »

On retrouve là deux principes chers à Toyota : les notions d’objectif et de vision à long terme.

« Principe 9 : la gestion doit admettre que le changement est inévitable. »

Il n’existe pas d’action de l’Homme sans effet sur l’écosystème.

« Principe 10 : l’approche par écosystème devrait rechercher l’équilibre approprié entre la conservation et l’utilisation de la diversité biologique. »

Il s’agit là de la notion de carrying capacity qui admet que la nature doit nettoyer ce que l’Homme salit… dans une proportion à discuter entre « experts ». C’est, selon moi, un compromis qui ouvre la porte à toutes les compromissions. En forçant le trait, puisqu’il a existé 17 réacteurs nucléaires naturels sur la planète (voir ici),est-ce bien utile de s’échiner à retraiter les déchets nucléaires ?

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« Principe 11 : l’approche par écosystème devrait considérer toutes les formes d’information pertinentes, y compris l’information scientifique (sciences du vivant et sciences humaines) et autochtone, de même que les connaissances, les innovations et les pratiques locales (étudiées en ethnologie). »

« Principe 12 : l’approche par écosystème devrait impliquer tous les secteurs sociaux et toutes les disciplines scientifiques concernées. »

J’ai cité les 12 principes, mais le lecteur attentif soulignera que les 6 premiers se suffisent à eux-mêmes pour que l’humanité n’ai pas à chercher son avenir au-delà du Dôme du Tonnerre.

Désormais armés d’une solide vision de ce que devrait être le développement durable, nous verrons dans la prochaine partie de cet article comment cela se traduit dans les faits.

A suivre dans les deux prochains épisodes publiés cette semaine…

 

[1] JEGOU. (2007). Les origines du développement durable. Armand Colin / Dunod.

[2] Mme Gro Harlem Brundtland, Premier Ministre norvégien (1987)

[3] Elkington J. (1997). Cannibals with Forks: The Triple Bottom Line of 21st Century Business. Capstone.

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