Lean Summit Lyon 2016 – le Lean EST la Stratégie

Lean Summit 2016

Retour sur la conférence Lean Summit qui a eu lieu à Lyon les 7 et 8 avril dernier. La thématique de cette édition 2016 : le Lean comme LA stratégie d’entreprise (Vs  un outil stratégique parmi d’autres).

Comme à chaque fois, une conférence essentielle en ce qu’elle donne la parole à des patrons d’entreprises du 21ème siècle. Ceux-ci expliquent comment cette approche de management a permis de sauver / faire grandir / transformer leur entreprise. Il ne s’agit pas de consultants ou (Taiichi nous garde) d’éditeurs logiciels qui viennent vendre leur produits ou services. Les enseignements ne sont que plus éclairants. En voici cinq qui m’ont semblé essentiels …

1/ Le client avant l’organisation

« Résoudre les problèmes des clients avant de résoudre ceux de l’organisation ». Un conseil d’une sagesse admirable, donné par Cyril Dané et Christophe Riboulet alors qu’ils racontent leur histoire de dirigeants cherchant à diffuser les vertus du Lean management dans leur cercle de dirigeants. Une citation à laquelle celle de Boris Evesque (SNCF) fait écho : « toutes les résolutions de problèmes partent du terrain et remontent ensuite dans l’organisation ».

De leurs rencontres avec de nombreux dirigeants, les deux PDG identifient le problème principal : l’écart insurmontable aujourd’hui entre la vision stratégique et la réalité du terrain. Que doit faire un dirigeant pour le surmonter ? La réponse est à la fois évidente et inconfortable : aller sur le terrain pour comprendre ce qui empêche les équipes de répondre aux attentes du client. Boris Evesque encore : « Ce qui a changé dans mon travail avec le Lean ? Avant j’étais en réunion 90 % du temps. Aujourd’hui je suis 50 % du temps sur le terrain, avec les équipes. »

Ce que fait aussi Benoît Charles-Lavauzelle, CEO de la startup Theodo. Chaque lundi, l’équipe dirigeante se retrouve autour des fiches de satisfaction client qui ne sont pas au standard, c’est à dire dont la note est inférieure à 8/10. Les axes d’amélioration sont identifiés sur des sujets très spécifiques. Résultat : un taux de ré-achat de 120 % pour Theodo en 2015.

La primauté du client est aussi apparue lors de la restitution par Catherine Chabiron des travaux de recherche de l’Institut Lean France sur les intérêts du Lean pour la stratégie financière. S’appuyant sur un article d’avril 2013 de la Harvard Business Review, Catherine a montré comment les « stratégies » utilisées dans les entreprises aujourd’hui (externalisation, délocalisation, pression sur les fournisseurs) déviaient les organisations de leur but. La stratégie pour réussir est beaucoup plus pragmatique : traiter les réclamations (pour « comprendre ce que le client veut vous apprendre » comme le formule l’hôte de la conférence, Michael Ballé), analyser les incidents qualité, regarder vos retards de livraisons un à un et contacter les clients inactifs pour les écouter. Les principes au cœur de la réussite sont au nombre de deux : 1/mieux plutôt que moins cher, 2/se concentrer sur les ventes plutôt que sur les coûts.

Benoît de Theodo, encore, a insisté sur les vertus de la qualité pour fidéliser ses clients dans des marchés saturés.

2/ L’industrie a un présent et un avenir en France

La France souffre de cette stratégie basée sur l’hypothèse selon laquelle au 21ème siècle il ne demeurera dans les économies avancées que des emplois à « valeur ajoutée » liés à la connaissance (Stratégie de Lisbonne). L’hypothèse étant que les emplois manuels n’ont plus d’avenir chez nous car ils seront délocalisés dans des pays en développement.

Hypothèse largement contestable si l’on en juge par les nombreux exemples montrés lors des différentes éditions du Lean Summit (AIO, Proditec, Alliance, …). Une hypothèse à son apogée aujourd’hui avec l’engouement autour des startups. Si ce blog parle beaucoup d’entreprises du 21ème siècle, c’est pour insister sur la complexité des nombreux changements qui sont à l’œuvre aujourd’hui : les changements technologiques n’en sont qu’un des aspects. L’avènement de la toute puissance du client, la question de la survie dans des marchés saturés, l’impératif d’innovation, la stratégie de croissance dans des marchés globalisés, la rétention des personnes etc … tous ces sujets sont aussi au cœur de la problématique des organisations d’aujourd’hui.

Emmanuelle Legault, directrice générale de l’entreprise Cadiou en a montré un exemple éclatant cette année. Le problème de cette société de menuiserie est très simple : victime de son succès, elle a pour client de grandes enseignes qui commandent en gros volume mais avec des contraintes de délais importants. En cas de retard de livraison, l’entreprise doit payer des pénalités considérables. Pour traiter ce sujet, l’entreprise a décidé de mettre en place une production en juste à temps avec un flux tiré lissé et un management Lean de la performance et de l’amélioration continue. Non seulement cette approche et ses résultats ont permis de sauver l’entreprise mais elle a aussi, au final, permis de créer 70 emplois supplémentaires dont des emplois précaires convertis en CDI.

Exemple identique présenté par l’entreprise Lachant Spring à Chateaudun. Là encore l’approche juste-à-temps en libérant de la trésorerie, réduisant les délais et impliquant les équipes, a permis à l’entreprise de passer un cap difficile.

Cela ne veut pas dire que le Lean n’a pas sa place dans l’économie de la connaissance, bien au contraire. A ce sujet, la présentation Cécile Roche sur le Lean dans l’ingénierie a été particulièrement instructive. Car si la question principale de l’ingénierie est liée à la réutilisation de la connaissance, une approche en flux tiré y est tout autant indiqué. Comme l’explique la responsable du Lean chez Thalès : le flux tiré a ceci de vertueux qu’il présente les problèmes dans le bon ordre.

3/ La performance comme outil d’engagement

Bien qu’ayant perdu le lien, je me rappelle cet article cité par le blog SignalVsNoise de l’entreprise Basecamp : un startuper y expliquait que le plus important dans l’activité professionnelle n’était pas le Quoi (ce qu’on faisait) mais le Comment (la façon dont on travaillait).

Ainsi Plastic Omnium qui a mis du management visuel et du pilotage de la performance pour améliorer la maintenance des bacs de déchets dans une grande agglomération. Ce management a permis de faire apparaitre de façon très précise les étapes clefs du processus (rendez-vous, tournées etc …) pour améliorer de façon très significative le taux de prestations réalisées au premier rendez-vous. Trois conclusions : 1/ les équipes ont choisi de continuer avec cette approche qui leur permet de contribuer à l’amélioration du service (réduction de 80 % des pénalités) 2/ les clients ravis par l’amélioration de la qualité du service ont signé un nouveau contrat significatif (3M€) 3/ l’initiative « mur qualité » a donné, pour un investissement initial de 900€ en bannettes de couleur, un ROI de 165 000€. Lo-tech, hi-gain : une autre évidence inconfortable.

Il y a de nombreuses réflexions aujourd’hui sur comment faire pour améliorer l’engagement des équipes. Ce qui transparait de ces nombreuses présentations est l’hypothèse suivante : le management de la performance PERMET l’engagement des équipes. En se concentrant sur le client (et en mesurant sa satisfaction), on donne du sens au travail de l’équipe. En se concentrant sur la qualité, on permet aux personnes d’être fières de leur travail (Cadiou a divisé par 6 la non-conformité). Enfin, en se plaçant dans une dynamique d’amélioration continue, on permet à chacun d’apprendre et de développer ses compétences, chaque jour. Chez Cadiou encore, grâce à l’approche Lean, l’entreprise recycle maintenant 92 % de ses déchets (contre 59 % auparavant) : un autre motif de grande fierté pour les équipes.

4/ La maison Toyota comme grille de lecture de la situation

Il y a eu de nombreuses illustrations de la maturité de la pensée Lean lors de cette conférence. Le fait que l’on se concentre moins sur les outils comme finalité mais d’avantage comme levier de développement des personnes est particulièrement marquant. Le nombre d’intervenants insistant sur la joie de voir la fierté des équipes alors qu’elles s’améliorent est un élément représentatif.

Mais un autre élément est de voir la « sagesse » de dirigeants qui se réfèrent sans cesse à la maison Toyota.  Une première illustration en a été donnée par Boris Evesque alors qu’il racontait les bénéfices de la mise en œuvre du Lean dans un site de maintenance ferroviaire de la SNCF. A chaque fois, il y a ce réflexe cognitif (« le lean est une transformation cognitive, pas une transformation de l’organisation » dit Michael Ballé) qui consiste à se demander où l’on se trouve dans la maison Toyota sur un sujet particulier. Cela permet de prendre du recul par rapport à une situation et de se poser les bonnes questions. Boris Evesque a ainsi démarré par un focus sur les fondations (stabilité) et le toit (les buts), socles de la maison. Pour des résultats spectaculaires : réduction de 60 % des accidents du travail, réduction de 88 % des mises à quai tardives.

On a également retrouvé cette pratique chez Benjamin Garel dans son retour d’expérience du Lean dans un grand CHU régional à Grenoble. Là encore pour des résultats remarquables : 15 fois moins de clients hospitalisés « en trop » dans les services (i.e installés dans les couloirs plutôt que dans des chambres), réduction de 15M€/an des pertes financières, et diminution de 50 % du nombre de plaintes aux urgences. Un des sujets principaux de Benjamin a été de se concentrer sur des questions de charge/capacité et donc sur la charge lissée (Heijunka) pour pouvoir s’assurer que les bonnes personnes sont déployées dans les bons services au bon moment.

Ce retour à la maison Toyota a été exprimé de la façon la plus claire qui soit par cette diapositive de Dan Jones :

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5/ Le Lean comme stratégie à l’ère du digital

Terminons cette synthèse sur la keynote d’ouverture de Dan Jones qui poursuit ses réflexions sur la remarquable adéquation de la pensée Lean à l’ère de l’avènement du numérique. La perception de Dan est que les enjeux du numérique se situent sur trois axes : les potentiels techniques, les dynamiques sociales et le rapprochement du client. Son hypothèse est que la pensée Lean (rappelons nous que l’ouvrage séminal de Dan Jones et Jim Womack s’intitule Lean Thinking) permet de libérer le potentiel et les promesses de la technologie. Dan en profite pour prendre un peu de recul par rapport à deux entreprises du numérique considérées comme exemplaires. Spotify d’abord : malgré la grande efficacité de son organisation complètement articulée autour des flux de valeurs et du client, l’entreprise suédoise de streaming musical n’a pas de système d’amélioration. Google de son côté, place bien plus d’énergie à embaucher des smart creatives (tels que définis par l’ex CEO Eric Schmidt) qu’à les développer en interne. Point soulevé par Régis Médina au Lean IT Summit 2015.

La keynote de Benoît Charles-Lavauzelle de Theodo nous a montré avec panache comment la pensée Lean et ses pratiques (standards, dojos) sont tout à fait adaptés dans le contexte du numérique et d’entreprises innovantes. Un sujet sur lequel ce blog aura l’occasion de revenir très bientôt avec Dan Jones.

Merci

Pour conclure, un grand merci aux organisateurs (Richard Kaminski, Catherine Chabiron, MC Michael Ballé, Florence Préault), aux intervenants et à la communauté : cet évènement a ainsi été l’occasion de rencontrer IRL de nombreux activistes du sujet (salutations particulières à la pétillante Anne-Lise Seltzer et à Jean Philippe Douet). Vivement la prochaine édition !

(Photo : Michael Ballé et Benoit Charles-Lavauzelle – par Marie Pia Ignace)

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