Dès qu’on s’intéresse un peu sérieusement au Lean management, on découvre un concept troublant :
Dans le jidoka (le 2ème pilier de la maison Toyota), il existe toute une pensée sur la séparation de l’homme et de la machine. Celle-ci serait au service de l’humain et il n’est pas question que l’opérateur ait comme seul rôle d’alimenter une machine tyrannique !
« En reconfigurant l’interface homme-machine, Toyota prétend libérer les opérateurs de la tyrannie de la machine pour les laisser libres de se concentrer sur des tâches qui leur permettent de mettre en valeur leur savoir-faire et leur jugement ». (cf Michael Ballé – Le Projet Lean Entreprise)
Ce que m’apprennent mes visites sur le terrain, c’est qu’il s’agit souvent de libérer tout autant les personnes de la tyrannie des machines que de la tyrannie du système. On a parfois l’impression, dans le domaine des services, qu’un esprit suspicieux a conçu un système informatique compliqué et bureaucratique dans le seul but de mettre sous contrôle les humains qui interviennent dans la chaine de service. J’ai vu par exemple une interface informatique destinée à des collaborateurs de back office en charge d’ouvrir des comptes bancaires : ils devaient cliquer dans une liste que « oui », ils avaient bien vu la pièce d’identité du nouveau client et « oui », ils avaient bien noté son adresse et sa date de naissance. Valeur ajoutée 0 : les collaborateurs le disent, depuis toujours on regarde une pièce d’identité avant d’ouvrir un compte.
Peut-on parler de confiance dans la personne humaine à ce niveau de mise sous tutelle de la réflexion ?
C’est là qu’apparait le choix de Pinocchio :
L’organisation et son management font-ils confiance à leurs collaborateurs ? Et on est alors dans la vision d’un Pinocchio humain, avec tout son talent, son initiative, son sens du client et aussi, c’est bien vrai, son côté imprévisible.
Ou alors, faut-il dicter chaque acte du collaborateur grâce à des procédures infiniment méticuleuses, imaginées par des technocrates peu opérationnels et ayant une pratique réduite ? Le modèle sous-jacent est celui d’un Pinocchio marionnette, dont on tire les fils à distance pour réaliser les actions décidées ailleurs. C’est tout à la fois méprisant, démoralisant, couteux et inefficace. Mais qui n’a jamais eu le sentiment, face à un process informatisé, d’être pris pour une marionnette ?
Eh bien, faire du Lean, du vrai, c’est considérer que ses collaborateurs sont porteurs d’idées, de création de valeur et que les systèmes sont là pour les aider à réfléchir et à réussir.
Dès lors, on ne voit pas les collaborateurs de l’entreprise comme des « ressources » interchangeables puisque que le grand marionnettiste les manipule.
Les bénéfices de ce point de vue sont nombreux :
1.Le dirigeant Lean crée un vrai lien avec ses équipes. Ils partagent une ambition et une confiance réciproque dans les choix de chacun, à son niveau.
1.(bis) Le dirigeant Lean crée un vrai lien avec ses équipes. Et il retrouve du plaisir dans son rôle managérial, qu’il a choisi pour sa composante relationnelle plus que pour sa passion du reporting et de la cartographie de processus.
2.Les équipes retrouvent de l’autonomie, les leaderships peuvent s’affirmer dès lors qu’ils conduisent à améliorer le système existant au bénéfice de tous : clients, entreprise et collaborateurs.
Moins contraints par les systèmes, plus libres de leurs réflexions, les collaborateurs peuvent alors lancer des initiatives positives, à leur rythme.
L’amélioration continue, idéal recherché dans toutes les démarches d’excellence opérationnelle, prend ses racines dans notre capacité humaine à challenger le statu quo.
Alors prenons très au sérieux la question du choix de Pinocchio et les principes du 2ème pilier de la maison Toyota !
Marie-Pia Ignace, Présidente de Operae Partners
2 réflexions sur “Déployer une véritable culture de l’amélioration continue – le choix de Pinocchio”