Les 5 sens du coach Lean

KEUKENHOF (36)

Le Lean est une pratique de management et, comme toute pratique, elle requiert deux choses : s’exercer et avoir un coach. Je suis coach Lean depuis cinq ans maintenant et j’ai remarqué comme cela avait influencé non seulement mon comportement en tant que professionnel mais aussi ma relation au monde en tant que personne.

Contrairement à d’autres approches de management, nous ne ressentons pas le besoin d’être « isolés par rapport aux aléas du réel par plusieurs couches de représentation » (reporting, slides, …), une fausse conception du monde moderne identifiée par Matthew Crawford. Le coach lean est en prise directe avec l’inconfortable réalité du monde. Et pour cela il a besoin de ses cinq sens pour le percevoir clairement.  Ce billet pour décrire comment …

La vision

Démarrons avec la vision car comme le rappelle John Médina dans Brain Rules, à lui seul, ce sens sollicite plus de 50 % de notre énergie cérébrale. Dans le Lean, la vision est sollicitée pour cette chose essentielle : voir la valeur depuis la perspective du client. Et son corollaire : voir les gaspillages. En d’autres termes, nous sommes adeptes de la circonspection, étymologiquement cette propension à regarder tout autour de nous.

J’ai la chance depuis près d’un an maintenant d’accompagner de jeunes dirigeants de la région bordelaise et ce que nous faisons à chaque journée est aller sur le terrain pour voir la valeur, et voir les gaspillages, ces obstacles qui empêchent leurs équipes de réussir. Ce peut être pour ce dirigeant d’une société de soins à la personne de voir le geste qui apporte de la sérénité. Pour un autre, sur un gros chantier électrique, voir tous les problèmes de qualité qui vont nécessiter plusieurs journées supplémentaires non prévues à ses équipes pour les corriger. Pour ce troisième intégrateur logiciel pour PME, voir comment ses équipes forment ses clients lors d’un migration de version de logiciel, ce qu’il relie rapidement avec le nombre de tickets support qu’il doit gérer en aval dans le processus.

Indépendamment de la dimension technique (les éléments qui représentent de la valeur pour le client, les gaspillages) un élément fondamental de cette vision Lean est de la séparer de l’analyse et, surtout, de la délester du jugement. On garde à l’esprit que chacun fait du mieux qu’il peut dans le contexte qui est le sien : il s’agit d’un regard curieux mais bienveillant.

L’ouïe et l’écoute

On veut construire une compréhension de la situation et cela demande une grande capacité d’écoute. C’est pour cela qu’après la capacité à voir la valeur, le deuxième outil essentiel du coach est le questionnement. Ce sont les questions qui vont nous permettre d’entendre de nombreuses choses sur le contexte de l’activité. Y-a-t-il un processus déterminé ? Qui sont les clients ? Quelle importance revêtent-ils dans le contexte de l’équipe ? Quel intérêt porte l’équipe à la qualité ? Y a-t-il de la variabilité : les adverbes, « normalement, généralement » ou expressions « dans la plupart des cas » sont de bonnes indications.

De la même manière que l’on regarde sans jugement, le questionnement reste ouvert car on ne souhaite pas aller chercher des confirmations : on veut se laisser surprendre par la réalité des choses telles qu’elles sont. Les questions ouvertes (Pourquoi, comment, dans quelle mesure, combien, qui, qu’est-ce qui etc …) sont essentielles. Notre sensei Marie-Pia nous reprend immanquablement lorsque nous nous laissons aller la facilité de questions fermées (Avez-vous un système de qualité ?) ou, encore pire, les questions interro-négatives fermées (ne pensez vous pas que … ), un authentique outil de manipulation rhétorique.

L’odorat

Lorsque nous rejoignons une équipe, ce qui nous importe c’est de les aider. Cela semble un peu creux comme proposition de valeur mais notre approche est très sérieuse. Comment les aidons-nous ? Grâce aux éléments que nous avons observés et aux échanges que nous avons eus, nous développons cette capacité à savoir où creuser pour trouver les obstacles opérationnels majeurs et les potentiels économiques principaux. Ce que l’on appelle en informatique les « code smell », une partie d’algorithme qui attire notre attention car quelque chose ne semble pas y tourner rond.

Je pense à cette équipe en charge des systèmes IT d’un opérateur télécom dont l’activité projet perdait de l’argent depuis 3 mois. En allant fouiller de manière très précise dans leur système de pilotage des évolutions à développer pour le client, j’ai très rapidement trouvé la truffe : le problème opérationnel à traiter en priorité pour permettre à l’équipe de livrer la valeur attendue par le client, quand il le voulait.

Un autre exemple qui me vient à l’esprit : une équipe d’octroi de crédit dans une entreprise de service financier. Il s’agit de la meilleure équipe et les chefs de projets Lean que je coach et qui accompagnent cette équipe sont un peu désabusés, ils ne savent où regarder pour trouver des potentiels d’amélioration. Un questionnement plus précis sur la nature de la non qualité de cette activité et sur le nombre de dossiers qui sont en suspens et bons du premier coup leur font tout de suite entr’apercevoir un potentiel majeur d’amélioration opérationnel et donc, économique.

Un flair qui se développe à force de regarder les activités à travers la grille des quatre axes de performance opérationnelle : qualité, coûts, délais et satisfaction client.

Le toucher

Un élément qui surprend souvent chez nos clients, lors de nos premières missions, est notre goût immodéré pour les pièces, bien plus que pour le processus. Nous aimons voir et toucher les pièces car celles-ci sont le produit du processus, le produit du savoir faire de l’équipe : elle ne laissent pas d’espace à l’ambiguïté.

Dans les équipes informatiques, nous avons ainsi un faible pour les tickets de support client qui incarnent l’intérêt que porte l’organisation au client. L’équipe les fait-elle attendre : quelle est la durée de l’attente vs. la durée de traitement ? Répond-elle bien du premier coup à leurs demandes, y a-t-il des retours ? Nous pouvons aussi regarder des documents de spécifications pour faire le lien avec des problèmes rencontrés ensuite en production, chez le client pour montrer à l’équipe cet élément du processus qui leur a échappé.

Dans l’ouvrage Switch, les frères Dan et Chip Heath montrent à travers plusieurs exemples que les choses physiques sont un outil de conduite du changement en ce qu’elles incarnent le problème dans le monde réel et, qu’à ce titre, elles parlent davantage à l’éléphant (notre personnalité émotionnelle) qu’au cavalier (notre personnalité rationnelle) – cf The Happiness Hypothesis. Des outils que l’on oublie souvent, pensant à tort que les arguments rationnels suffisent à convaincre. Ils évoquent ainsi une usine dans laquelle la responsable des achats se plaignait au comité de direction des différents fournisseurs de gants et du coût que cela représentait (un ratio de un à quatre selon le fournisseur). N’ayant eu aucune prise de décision suite à ses arguments rationnels présentés lors du comité précédent, elle vint au suivant avec une caisse remplie des différents modèles de gants utilisés dans l’usine qu’elle déversa sur la grande table du comité de direction. Puis elle donna à chacun des membres des paires différents pour qu’ils puissent toucher l’aberration de leur stratégie d’achat. Les décision furent prises aussitôt.

Le goût

C’est une confession : nous, coaches Lean entretenons une réelle addiction avec le goût subtil et magique de l’alignement de l’organisation.

Lorsque des équipes opérationnelles présentent un problème qu’elles ont résolu et que le sponsor s’exclame : « mais c’est exactement cela que j’attends de vous » la magie apparait, comme l’explique Michael Ballé dans cet entretien :

Dès que le patron a le déclic et qu’il lance des chantiers par les opérationnels et qu’il vient voir régulièrement les progrès et s’intéresse aux idées qui en émergent, la magie du Lean se met en route. Il faut vivre ces moments où toute la hiérarchie, du PDG à l’opérateur se penche ensemble sur un sujet pointu de valeur ajoutée au niveau de l’opérateur ou du client.

J’ai ainsi le souvenir de cette équipe transverse d’une DSI qui présenta son mode de fonctionnement pour livrer une phase d’étude en 2 fois moins de temps à la Directrice SI et la sponsor métier. Toutes deux étaient ravies de voir qu’enfin les équipes avaient résolu les problème d’attente et de qualité qui avait des conséquences en terme de délais et en termes de coûts pour les projets importants. Avec le système de pilotage simple et efficace que cette équipe transverse avait mis en place, cette équipe allait enfin pouvoir répondre aux enjeux business de ces directions.

De la même manière, au sein d’un acteur du e-commerce, les équipes Marketing et Éditoriale ont mis en place un standard qui leur a permis d’améliorer de façon significative la durée de phase amont des projets de communication en travaillant sur les aller-retours avec les agences de communication. En voyant ce standard et les résultats qu’il apportait, la directrice du marketing s’est exclamée qu’enfin l’équipe avait trouvé le moyen de supprimer un obstacle majeur à la réalisation de sa stratégie, basée sur une collaboration plus importante avec des agences de communication pour soutenir le flux croissant de campagnes.

Manager au 21e siècle : Coacher plutôt que contrôler

Si ces cinq sens sont essentiels à la réussite d’un coach Lean, ils le sont tout autant pour celle d’un manager du 21e siècle. Le manager qui contrôle et commande n’est plus le modèle attendu aujourd’hui. Ce que les équipes attendent est un manager coach qui leur permettra de développer leurs compétences à travers la résolution de problèmes opérationnels en ligne avec la stratégie de l’entreprise.

Comment développez-vous vos cinq sens pour être un manager/coach à la hauteur des attentes de vos équipes et de votre direction ?

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