Poka yoke : objectif zéro erreur !

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La qualité construite dans le processus de fabrication (jidoka) comporte de nombreux outils. Au cours de nos visites d’entreprises japonaises, nous avons eu le plaisir d’observer plusieurs déclinaisons du poka yoke.

Dans la prime jeunesse de ce concept, il s’agissait du baka yoke : l’anti-idiot. Au fil de la maturation de ce concept, l’angle d’observation du problème à régler a radicalement changé. Ce n’est plus la maladresse de la personne qui est adressée, mais les conditions de réalisation d’une opération qui doivent empêcher l’erreur. Le poka yoke est donc un anti-erreur, un détrompeur. Il vise à mettre en place des conditions opératoires qui vont limiter les choix des personnes jusqu’à la situation optimale : l’absence d’alternative au bon choix !

 

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Il existe deux types de poka yoke

– CONTROL POKA YOKE : il concerne les processus et outils. C’est un mécanisme qui rend impossible l’erreur dans le geste lorsqu’il est réalisé.

– WARNING POKA YOKE : lorsque le poka yoke de contrôle est impossible, un poka yoke d’alerte peut avertir l’opérateur par un signal visuel ou sonore qui le prévient d’une erreur. Dans ce cas, c’est la machine qui va détecter que le geste en cours est incorrect.

Le poka yoke se met en place en quatre étapes :

  • Etape 1 : Je n’accepte pas la récurrence des erreurs dans la fabrication d’un bien ou d’un service ! Je veux donc concevoir un processus anti-erreurs, pour obtenir ceci, que dois-je faire ?
  • Tout le monde fait des erreurs, mais j’en suis responsable en tant que manager. En effet, tant que je blâme mes fournisseurs, mes clients, ou mes collaborateurs, personne ne travaillera sur l’erreur elle-même. On ne peut donc pas passer à l’étape suivante, tant qu’on n’a pas réussi cette étape.
  • Etape 2 : Trouver l’étape où le geste qui génère le plus d’erreur dans le process de fabrication (vital few mistake).
  • Etape 3 : Trouver la cause racine de ces erreurs, par exemple avec un diagramme d’Ishikawa ou au moyen des « 5 pourquoi ? « , puis concevoir un control poka yoke ou un warning poka yoke.
  • Etape 4 : Construire un standard de travail et des checklists, puis former les opérateurs à ces nouveaux standards de travail.

Comment cela se traduit-il dans les faits ?

Chez Mifune par exemple, j’ai observé les opérateurs fabriquer des pièces métalliques pour Toyota. Sur l’une des chaînes, l’ouvrier doit sertir 2 boulons dans une pièce comportant 5 trous de taille identique. Des erreurs dans le choix des trous où les boulons étaient sertis étaient constatées lors des contrôles de qualité.

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Comme il n’était pas question de modifier la taille des trous pour mieux les différencier, d’allonger le « temps de réflexion » pour choisir les bons trous, de supprimer les trous « en trop », ni de percer les trois trous du milieu après sertissage des boulons dans les trous des extrémités de la pièce, les ouvriers ont mis en place une idée astucieuse : boucher, au moyen d’un socle à ergots, les trous dans lesquels il ne fallait pas sertir de boulons. Si la pièce ne peut pas être insérée sur le socle avant soudure des boulons, c’est que ceux-ci sont mal placés !

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Avec ce poka yoke, d’un coût dérisoire, les ouvriers de Mifune ont supprimé 100 % des mauvais positionnements des boulons sertis. Par ailleurs, la machine de sertissage dispose d’un autre poka yoke : elle compte le nombre de soudures réalisées par pièce (une pour chaque boulon), ce qui permet, au moyen d’un signal lumineux, d’indiquer à l’opérateur que la pièce est terminée.

Chez Toyota, j’ai observé deux autres variantes de poka yoke. La première est le « set parts supply », SPS pour les pratiquants assidus des acronymes. Il s’agit d’un assortiment de pièces qui est fourni à chaque opérateur lorsqu’il doit réaliser un assemblage à monter ensuite dans une voiture.

Dans les faits, qu’est-ce que cela donne ? Imaginons que l’opérateur soit amené, tout au long de sa journée de travail, à réaliser quatre types de montages de lève-vitre pour les quatre modèles de voitures fabriqués dans l’usine. Pour l’ensemble des types de montage, l’opérateur utilise 4 pièces détachées différentes (A, B, C, D) en des nombres variés :

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On imagine très bien l’opérateur qui reçoit l’ordre de montage d’un lève-vitre, au moyen d’une référence sur un kanban. Il va alors piocher dans des bacs, généreusement approvisionnés, les pièces détachées nécessaires à la fabrication demandée. Mais voilà, en choisissant lui-même la nature et le nombre des pièces nécessaires pour réaliser la commande, l’opérateur peut se tromper, car il réalise 4 types de lève-vitre différents, sur demande !

C’est là qu’intervient le SPS : l’opérateur n’a pas accès aux pièces détachées à volonté. Il reçoit le kanban de la commande dans une boîte contenant les pièces détachées nécessaires au montage. Qu’il vienne à manquer une pièce pour finir le montage ou bien qu’il en reste dans la boîte une fois le montage terminé, l’opérateur détecte immédiatement l’existence d’un problème ! Associé à l’autocontrôle au moyen d’une bonne pièce de référence à disposition, l’ouvrier dispose d’armes redoutables pour obtenir le 0 défaut à chaque étape de la fabrication !

Mais… Nous avons déplacé une partie du problème me direz-vous ? En effet, l’opérateur est en mesure de détecter une mauvaise pièce lorsqu’il la fabrique. Mais sa boîte, il y a bien quelqu’un qui la lui remplit et qui peut se tromper ? En effet ! Et c’est là que j’ai pu observer l’autre variante de poka yoke, à l’autre extrémité du système SPS : le Digital Picking System, alias DPS. L’opérateur qui remplit la boîte en fonction de la commande figurant sur le kanban, transmet la référence du lève-vitre à fabriquer à un système d’information, qui va allumer une petite lumière devant les seuls casiers où les pièces détachées doivent être prélevées ! Le gemba dans l’usine Toyota n’a pas permis d’observer s’il existe un système, par exemple par pesage de la boîte, qui détecte si celle-ci a le bon poids de pièces et donc le bon nombre en plus de la bonne référence.

Mais pourquoi faire du poka yoke ? Après tout, il suffirait de mettre un peu la pression sur les ouvriers ? Au besoin, quelques sanctions pour les moins concentrés serviraient d’exemple aux autres ? En quoi le poka yoke est-il plus efficace sur l’activité des personnes que la carotte et le bâton ?

De nombreuses études ont montré que l’attention des personnes s’émousse lors d’une phase de travail. Ainsi n’est-il pas inutile de pratiquer des pauses. Il est même de plus en plus préconisé de se laisser aller à une sieste de 10 minutes après manger. Pour autant, quoi qu’on fasse, nous restons soumis à des rythmes biologiques qui font varier notre attention dans la journée. Les travaux de Challamel et Thirion à l’Université de Lyon illustrent très bien ce fait :

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Si l’on positionne, sur la courbe de vigilance, le niveau d’attention nécessaire pour une qualité optimale, cela pourrait donner le schéma suivant :

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Le poka yoke va agir en abaissant le niveau de vigilance optimal pour obtenir la qualité attendue.

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Cela aboutit donc à une baisse de la non-qualité, mais aussi à un moindre effort intellectuel de la part de l’opérateur. C’est donc bénéfique pour le client, qui reçoit une meilleure qualité, pour l’opérateur, qui se fatigue moins, et à l’entreprise, qui améliore sa rentabilité tout en satisfaisant ses parties prenantes !

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