Le lean et la relation client

Le lean et la relation client

Il y a quelques années, l’un de nos grands opérateurs télécom s’est trouvé pris à parti car ses nombreux centres d’appels quittaient le territoire français, ce qui détruisait de l’emploi. Je me souviens d’une interview de son président qui déclarait interloqué :

« Chez Free, les centres d’appels restent en France car ils n’ont pas beaucoup de sollicitations de leurs clients, alors ils peuvent se le permettre. Tandis que chez nous… »

Eh oui, la non qualité de la prestation génère une foule de coûts, met en déséquilibre la rentabilité des offres et conduit à prendre des décisions qui peuvent nuire à l’image de l’entreprise.

Qu’apporte le lean dans le domaine de la relation client ? La réponse tient en 3 points :

  1. Améliorer la satisfaction client par l’amélioration de l’efficacité opérationnelle
  2. Réduire le recours au service client par l’amélioration de l’expérience client
  3. Profiter d’un service excellent pour vendre plus

Voici nos expériences.

Tenir la promesse d’une entreprise à l’écoute et qui rend service

Le premier constat du coach lean dans une activité qui devrait être centrée sur le client est simple : dans la plupart des cas, la promesse n’est pas tenue, ni en terme de qualité, ni en terme de délai.

En ce qui concerne les délais, le constat est souvent simple à faire. Sur un centre d’appels, il suffit de regarder les taux d’appels perdus et les délais de réponse. Le client … attend. Et son doute grandit : obtiendra-t-il ou non la réponse à sa question ?

En ce qui concerne la qualité, l’observation est plus complexe. Le point de vue lean est que la qualité est assurée soit lorsque le client la reconnait, soit lorsque le client … n’a pas besoin de rappeler sur le même sujet, pour être conforté, obtenir des précisions, bref, voir son problème complètement résolu.

Les techniques existent pourtant, entre l’obtention d’une évaluation à chaud ou le suivi dans le temps de quelques demandes, il est possible de mesurer l’efficacité du service. A titre d’exemple, nous avons sélectionné 100 clients ayant appelé le service après-vente d’une grande entreprise un mardi et nous avons regardé s’ils avaient rappelé à nouveau dans la même semaine. Résultat (accablant !) : 20 % des clients rappellent.

Trois conséquences à cette mauvaise qualité :

  • une satisfaction faible des clients vis-à-vis du service, ce qui représente un risque en termes de fidélisation et de développement commercial,
  • un coût de la relation client qui augmente car le nombre d’appels augmente lui aussi de 20 % et le temps de traitement de ces appels, nous le constatons, est supérieur à celui d’une demande normale,
  • enfin, les collaborateurs travaillent dans de mauvaises conditions car les clients deviennent déplaisants. La qualité de vie au travail baisse.

Qu’apporte donc le lean en matière d’excellence opérationnelle ?

D’une part, les apports méthodologiques du lean permettent de mieux traiter les files d’attentes et de fournir les bonnes réponses dès la première demande. Je citerai à titre d’exemples des méthodes comme le juste à temps et la standardisation des bonnes pratiques, que connaissent bien les praticiens du lean.

Etude de cas

Notre toute première expérience du lean dans les centres d’appels d’un fournisseur de services financiers a confirmé la pertinence de ces méthodes :

Ce que voyaient les managers, avant la démarche lean :

  • 78 % d’appels décrochés en moins de 12 secondes, ce qui était bien en dessous des attentes.
  • 640 appels par jour.

Toute leur attention se portait donc sur le « logging » des collaborateurs : étaient-ils à leur poste de travail ou ailleurs ? Prêts à prendre des appels ou occupés à d’autres activités ?

Les observations faites avec le lean leur ont permis de comprendre que la situation était bien plus grave que prévue : seuls 55 % des clients se disaient satisfaits du service. Compte-tenu de l’investissement de l’entreprise sur ses centres de relation client, le constat était amer.

Elles ont aussi mis en évidence ce qui s’est avéré être un axe de progrès redoutable : seuls 20 % des clients obtenaient une vraie réponse lors du 1er appel. 80 % d’entre eux … rappelaient. Un travail sérieux de l’ensemble des collaborateurs sur les raisons de ces ré-appels a permis de trouver des solutions pérennes. Comme toujours, le succès de l’amélioration lean vient plus de l’engagement de chacun que de l’application de méthodologies, aussi fines soient elles. Cet engagement se traduit d’abord par un très bon état d’esprit vis-à-vis des problèmes du quotidien. Une équipe lyonnaise, par exemple, a mis en place un système d’affichage des questions des clients qui demandaient une réponse mal connue ; les collaborateurs ont eu le courage d’afficher leur manque de compétences sur certains sujets et leur envie d’être mieux formés. Une chaîne de « solidarité » s’est mise en place localement :

  • Si un collègue disposait de la réponse, il l’affichait en face de la question.
  • Si personne ne savait comment répondre, la responsable de l’équipe allait solliciter les bonnes personnes dans l’entreprise (formateur, responsable de process, etc…) pour obtenir la bonne information qu’elle pouvait ensuite partager.

L’ensemble s’est traduit par un panneau de post-it avec les questions, les réponses, les points ouverts, l’ensemble animé tous les jours par les membres de l’équipe. Petit à petit, le taux de réappel des clients a diminué pour presque disparaître. Et l’indicateur de qualité de vie au travail ainsi que la fierté des personnes ont augmenté.

Les résultats obtenus au bout de trois mois ont été éblouissants :

  • Du point de vue du client : une bien meilleure satisfaction (de 55 % à 82 % de clients satisfaits).
  • Du point de vue de l’entreprise : une baisse des coûts obtenue par la baisse des volumes (-26 %) puisque les clients n’appelaient plus qu’une seule fois dans 80 % des cas (versus 20 % initialement).

En conclusion

Le premier apport du lean dans le domaine de la relation client est une amélioration concomitante de la satisfaction du client, de la qualité de vie au travail et du coût du service.

 

Améliorer globalement les parcours client

Une fois le fonctionnement des équipes au service des clients redevenu performant, les managers peuvent réfléchir à LA vraie question : pourquoi le client a-t-il besoin de solliciter un service après-vente ? Ou de rappeler son point de vente ?

Chez Amazon, il existe un état d’esprit à considérer avec attention : « the best service is no service » (le meilleur des services, c’est l’absence de service). Regardons ce point de vue sous un angle personnel : à quelle occasion avons-nous contacté un service client ? Clairement, lorsque la prestation n’était pas à la hauteur, disponible, satisfaisante, etc…

En ce qui me concerne, par exemple, j’ai contacté le service client de Trainline, auprès de qui j’achète mes billets de train, parce que je n’arrivais pas à déclarer ma nouvelle carte SNCF et donc à bénéficier des tarifs ad hoc. Dans l’esprit Amazon, et dans le mien, être autonome dans la déclaration de cette nouvelle carte aurait été plus confortable (pour moi) et moins coûteux (pour Trainline).

Revenons au service client. L’ensemble de ces petits dysfonctionnements est leur quotidien : un tarif peu clair, une dysfonctionnement avec le produit, une livraison en retard, une erreur sur une carte de fidélité, etc, etc, etc génèrent une partie très significative des demandes. Lors d’une visite terrain (gemba en terme lean) avec le directeur général d’une grande enseigne, nous avons constaté à sa grande surprise qu’aucun des 15 contacts qu’il a pu observer n’était lié à une demande positive (acheter un produit de plus, prolonger un contrat). Toutes concernaient des dysfonctionnements et, pire encore, aucune n’a fait l’objet d’une réponse définitive. Je me souviens de sa perplexité lorsqu’il a compris que les 30 collaborateurs qu’il voyait à ce moment là, et tous les coûts associés, et tous les clients concernés, n’avaient comme raison d’être qu’un ensemble de dysfonctionnements banals.

Ainsi, en créant un lien entre la relation client et les responsables de processus ou les responsables du système d’information, il est possible de construire des parcours clients linéaires, rapides et moins coûteux. Encore faut-il s’écouter et donc créer des boucles courtes de remontée d’information. Encore faut-il aussi accepter que le point de vue du client a une importance primordiale par rapport tous les points de vue exprimés au sein de l’entreprise sur ce dont aurait « vraiment besoin le client » et qui serait innovant et créateur d’une valeur éblouissante.

Etude de cas

Ici, le client est le collaborateur utilisateur des outils informatiques de l’entreprise. Aujourd’hui son point de vue est plus souvent pris en compte par les DSI. Certains se fixent des objectifs ambitieux d’amélioration de « la satisfaction des employés ».

Ici, notre DSI a l’intuition que l’amélioration de cette satisfaction ira de paire avec une meilleure efficacité de ses services support. Comme dans le cas précédent, les équipes vont commencer par améliorer leur efficacité opérationnelle, avec un double bénéfice :

Pour le client : des délais de résolution divisés par … 9 !

Pour l’entreprise : une multiplication par 2 de leur productivité

Au bout de quelques semaines, les collaborateurs n’avaient plus de stock de tickets ouverts et ils ont décidé, après discussion avec leur coach lean, de comprendre pourquoi leurs clients avaient recours à eux. Un pareto des types de ticket leur a montré que certaines familles avaient leur origine dans un petit dysfonctionnement : message d’erreur très obscur pour expliquer que la date devait être tapée sous forme jj/mm/aaaa, une procédure inexacte pour changer un mot de passe, etc… D’autres avaient des causes claires mais demandaient une intervention d’une technicité élevée.

A l’issue de leur analyse, ils ont mis en œuvre un plan d’actions visant à enlever l’origine du désagrément pour les utilisateurs. En quelques mois, le volume des sollicitations a été réduit de 55 % pour le plus grand bénéfice :

  • des salariés, qui travaillaient avec une informatique bien plus fiable et rassurante ;
  • de l’entreprise, qui a trouvé dans les collaborateurs du support des personnes compétentes pour rejoindre les projets ;
  • des équipes support, dont le métier s’était enrichi de ces explorations et améliorations.

 

En conclusion

A l’ère du digital, les entreprises auraient tout intérêt à éradiquer rapidement ces dysfonctionnements petits et grands qui abîment leur image dès lors qu’ils sont révélés sur twitter, les kiosques ios et android, Facebook et Snapchat, etc.

 

Vendre !

Imaginez une interaction avec une entreprise au cours de laquelle vos questions même les plus simples n’obtiennent pas de réponse ou alors bien trop lentement et souvent avec une fiabilité douteuse. « Je ferai tout pour vous, demain vous aurez votre produit et le service fonctionnera » vous assure votre contact. Quel niveau de confiance accordez-vous à cette réponse ?

Cas 1. – S’il est élevé, c’est un signe que vous êtes un client choyé par l’entreprise et satisfait de sa prestation.

Cas 2 – Si ce n’est pas le cas, et c’est fréquent, êtes-vous disponible pour entendre parler d’une nouvelle offre ou d’une service complémentaire ? L’expérience prouve, que dans la très grande majorité des cas, les clients refusent de perdre encore plus de temps à écouter l’argumentaire commercial.

Dès que les équipes obtiennent des améliorations significatives dans le traitement des demandes des clients, le « taux de rebond commercial » augmente. Ainsi l’entreprise génère plus de ventes sans aucune augmentation de ses coûts, ce qui a un impact immédiat sur sa marge.

Etude cas

Une entreprise dispose autour de son offre principale de plusieurs produits peu chers, bien margés et fidélisants tels que l’allongement d’une garantie, une assurance perte de clés, etc… Les centres de relation client sont missionnés pour vendre ces produits autant que possible lorsque les clients les appellent pour obtenir des précisions sur un sujet ou un autre.

Les résultats obtenus sont significatifs mais, d’une part les clients annulent leurs achats plus souvent que prévu et d’autre part les collaborateurs se sentent mal à l’aise par rapport à la démarche. Ils expliquent à leur coach lean que le moment n’est pas toujours propice et l’accueil du client pas toujours chaleureux.

En auto-observant leurs appels, il leur apparaît clairement que le client est moins réceptif lorsque la réponse apportée est moins précise, moins définitive qu’attendue. Ils travaillent donc, comme expliqué plus haut, sur la qualité de leurs réponses.

Reste toutefois le sentiment désagréable que le moment choisi pour le rebond commercial (c’est le terme technique) n’est pas satisfaisant. En essayant de préciser l’origine de ce mal être, les conseillers identifient un lien entre leur disponibilité pour présenter une offre et le volume d’appels en attente : si le volume est trop élevé, ils sont tiraillés entre vendre et raccrocher pour servir un autre client.

Ils vont alors construire une stratégie de prise d’appels très fine, avec trois seuils :

  • Volume d’appels élevé : pas de rebond.
  • Volume d’appels dans la norme : rebond mais toujours sur le même produit.
  • Volume d’appels faible : tour d’horizon des besoins du client et proposition du produit le plus adapté.

Ils prennent le risque de pratiquer moins souvent le rebond commercial et donc de moins vendre. Pour savoir à quoi s’en tenir, ils suivent leurs chiffres comme le lait sur le feu. Les résultats sont incontestables :[1] :

ventes-rebond-commercial-lean-operae-partners

En synthèse

Nous renouvelons le même conseil : écoutez vos clients ! Lorsqu’ils appellent, lorsqu’ils commentent sur les réseaux sociaux, lorsqu’ils vous écrivent. Voici autant d’opportunités qui vous sont offertes d’améliorer, de renforcer la relation, de fidéliser et de vendre.

Non, le client n’est pas un casse-pied !

 

Alessandra Prosa et Marie-Pia Ignace

 

 

 

[1] Article à lire ici : « les centres de relation client sont une mine d’or »

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