Notre visite chez Toyota à Nagoya nous aura fourni une illustration époustouflante de ce principe fondateur du Toyota Production System : la production lissée mixée. Il vise à répondre à cette situation habituelle et problématique pour toute entreprise, dans laquelle la demande du client varie dans le temps, et en volume et en nature.
Eh oui, si tous les métiers sont différents, la demande varie dans chacun d’eux. Automobile, utilities, services, industrie, administration, médecine, développement logiciel, conseil… la demande d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier, celle de juin pas celle d’août, celle de 10h00 pas celle de 19h00, celle des vacances pas celle de la rentrée…
Le but de ce système de production lissée mixée est de produire quand même la demande réelle du client, sans en faire subir sa variabilité, ni aux équipes, ni au machines.
Ses avantages sont les suivants :
1- équilibrer l’utilisation des hommes en évitant les heures supplémentaires ou le chômage technique, et des machines en évitant leur sous-utilisation ou leur sur-utilisation, qui aboutit à des pannes ;
2- éviter les invendus de produits ;
3- éviter les stocks intermédiaires ou amont ;
4- réduire les délais client.
En conséquence du premier, le Heijunka évite les accidents de travail en supprimant les coups de collier, l’improvisation et le stress (Muri) ainsi que le travail dans l’urgence (Mura), voire les interruptions de production.
En conséquence des suivants, il accélère drastiquement les rentrées de trésorerie, tout en limitant les charges et amortissements au minimum. Le Heijunka est l’un des principes de lean management qui a permis à Toyota d’engranger chaque année autant de bénéfices que l’ensemble des autres grands constructeurs automobiles réunis.
Contrairement à certaines idées reçues, le Heijunka n’est pas un système de PRODUCTION qui respecterait strictement l’ordre des commandes, car cela génère forcement du stock et de la variabilité que le TPS cherche à éviter, mais plutôt un système de CHANGEMENT à la commande.
On va bien produire exactement ce qui est commandé, mais pas exactement dans l’ordre de ce qui est commandé (cf ici).
Le principe du Heijunka consiste à produire au cours d’un même cycle les mêmes produits, en même volumes, sur le même équipement, au même moment, à la même fréquence. Chacun de ces mots a un sens observable sur la ligne. Il conduit délibérément, il force l’ensemble du système de production à entretenir une capacité de changement permanent. Y compris les 300 sous-traitants.
Désolé mais le zéro stock n’est pas une réalité, même chez Toyota, c’est plutôt un idéal, une étoile du Nord. Ce que nous avons vu, c’est à chacune des étapes d’alimentation et de préparation le long de la chaine d’assemblage, un micro stock de 5 boites kanban maximum. À côté de chaque opérateur sur chaque piste de travail, il y a 5 boites, qui contiennent dans le bon ordre les composants nécessaires pour chacun des 5 prochains véhicules qui vont arriver. Tous différents.
Il se construit itérativement, en 2 phase et 5 étapes. On pratique en théorie chaque étape durant 6 a 8 semaines, avant de passer à la suivante. Concrètement, il semble plutôt que nous ayons vu le fruit de dizaines d’années d’amélioration continue, aussi besogneuses que déterminées, produites par des dizaines de milliers de personnes. La barre est haute, ce qui explique aussi pourquoi Toyota organise ces visites : une forme subtile de guerre psychologique mêlée de prosélytisme lean ?
Phase 1 : vise à stabiliser la production, et éviter le mura et résoudre les problèmes.
1.1 cycle de 1 mois
1.2 cycle de 1 semaine
1.3 cycle de 1 jour
Phase 2 : produire exactement ce que le client a demandé
2.4 petit batch
2.5 one piece flow
Ce système est en fait totalement contre intuitif. La première objection de l’immense majorité des mes interlocuteurs, après 10 ans de pratique de coaching lean, reste : « Mais c’est bien plus rapide de produire par lots ! Tout le monde sait cela ! ». En effet, beaucoup de gens le croient, mais le fait que « tout le monde le sache » ne suffit pas à en faire une réalité, mais simplement une fausse croyance bien partagée, à la source de bien des mauvaises décisions.
L’usine Tustumi que nous avons eu la chance de visiter est support de 4 usines à l’étranger. 70 % des 30 000 pièces nécessaires pour fabriquer une voiture (21000) sont livrées par environ 300 sous-traitants dont 80 % sont situés à moins de 2 heures de route. Condition nécessaire pour alimenter plusieurs fois par jour les 2 lignes de production : la 1 dédiée aux Prius, Prius HDV, Premio et Allion ; la 2 aux Prius et Camry. Cette introduction fait partie des toutes premières explications qui nous ont été fournies, c’est l’une des clefs du Heijunka :
On mélange des voitures longues à monter avec des voitures courtes à monter pour que la vitesse moyenne soit toujours égale. Comme on a 80 sortes de voitures différentes, il serait impossible d’avoir 80 lignes différentes.
Concrètement, du point de vue de l’opérateur sur une même ligne, nous voyons qu’il va assembler par exemple :
- Modèle : Prius Prius Camry Camry Prius Prius Camry Prius
- Enjoliveurs : gris noir noir gris
- Tableaux de bord : tous différents
- Volant : droite droite droite gauche droite droite
- Avec ou sans aération
- Hauts parleurs ou pas
- Plat ou bombé
- Avec ou sans GPS
- Couleurs : Blanc Blanc Blanc Blanc Bleu Noir Gris Noir Rouge Rouge Noir Rouge Noir Gris Gris Blanc Rouge Blanc Blanc Blanc Blanc Blanc Blanc Blanc Noir
- Solaire : 1 solaire, 31 non solaires
Soit 9x2x6 combinatoires de possibilités vues, soit 486 voitures différentes possibles, parmi lesquelles 31 observées.
Alimentation de la chaine principale :
5 boites kanban contiennent, dans le bon ordre, les pièces à assembler sur ce poste, c’est à dire que chaque boite contient les pièces dont cette voiture-là a besoin sur ce poste-là.
Vu : minimum 3 boites, maximum 7 boites.
Vu le travail des préparateurs de chaque poste : chaque opérateur est entraîné à faire de la bonne manière, il peut voir lui-même s’il fait des erreurs, repérer une anomalie ou voir si cela lui prend trop de temps.
Et sur la ligne de préparation en parallèle, qui alimente chaque poste de la ligne,
La prime pour finir à l’heure est plus intéressante pour le salarié que de faire des heures supplémentaires.