Dans votre A3, n’oubliez pas de parler des personnes !

Dans votre A3, n’oubliez pas de parler des personnes !

Introduction

Dans cet article, je vous propose de regarder un évènement précis qui a décidé du résultat d’un A3 que j’ai conduit il y a quelques temps.

L’objet de ce A3 était la réduction du nombre d’incidents générés par une production informatique. A la fin de l’exercice du A3, le nombre d’incidents de cette production est passé de 185 / jour (stable) à 99 / jour (stable) en 10 mois. Le gain obtenu par l’entreprise sur toute cette période a été estimé à 3,7M€, rien que sur le coût de traitement.

Est-ce que mon A3 a fait un « tout droit » vers son résultat ? Absolument pas ! Cet article est le récit du virage pris, qui a évité l’échec et atteint le succès.

1- La démarche générale

Un A3 est une démarche de résolution de problème, généralement appliquée à un problème important dans l’entreprise (comprenez par-là : « des clients risquent d’être perdus » et « l’entreprise perd de l’argent »). Pour bien le conduire, il est indispensable de formuler le problème *vu du client*. Puis il faut aller sur le terrain voir la construction de la valeur et les obstacles qui s’y posent.

a3-operae-partners-lean-management

Le système de production de Toyota, duquel la pratique du A3 est issue, dit de lui-même qu’il est non pas le « Toyota Production System », mais le « Thinking People System ». Ceci peut s’entendre comme « notre système pense ‘personnes’ « . La pratique du A3 incarne cette devise mais il est facile de s’y tromper comme nous allons le voir.

2- L’application dans le cas qui nous occupe

Nous sommes dans un grand groupe. Une division opérationnelle est chargée de maintenir en condition de fonctionnement plus de 1000 serveurs informatiques et autant d’applications informatiques installées sur ces serveurs.

Le problème est que cette « production informatique » produit près de 200 incidents par jour. La plupart sont totalement inoffensifs, mais tous nécessitent un certain traitement, qui peut aller de quelques secondes à quelques minutes. D’autres peuvent être très graves et traduire des interruptions de services directement visibles des clients.

Les clients se plaignent de cette situation, car avoir beaucoup d’incidents brouille la connaissance que l’on a de la disponibilité des applications, et bien sûr, les interruptions de service sont très dommageables.

L’entreprise en souffre aussi, parce que tout incident induit une charge de traitement, et à ces volumes-là elle est significative. L’entreprise perd de l’argent en plus de se mettre en risque de perdre ses clients.

L’objectif coule de source : réduire le nombre d’incidents. -30% en 6 mois. J’opte pour un A3 et je commence à formuler le problème : 185 incidents / jour, des clients insatisfaits à hauteur de 6/10, une estimation des pertes pour l’entreprise particulièrement élevées. J’interroge les acteurs de la division concernée, ils sont tous d’accord sur mon chiffrage de la situation et sur la nécessité de changer quelque chose pour y remédier.

Je poursuis avec une « forme » de Gemba (visite terrain) en regardant les tickets d’incidents. J’observe des regroupements qui peuvent être effectués, des applications qui tombent plus facilement en panne que d’autres, des types d’opérations qui génèrent facilement des incidents, etc. Je fais les schémas de nombres d’incidents dans le temps, et je commence à m’interroger sur les hypothèses que je peux faire pour expliquer cela…

Et puis… je commence à sécher. Comment expliquer ces récurrences d’incidents ? Il y a des spécialistes qui y travaillent, mais leurs résultats ne sont pas probants pour l’instant puisque les incidents réapparaissent continuellement. Je ne vois pas comment avancer, sauf à demander à mon coach.

Je lui montre mon A3, et sa réponse tombe : « c’est un constat d’échec ». Je suis un peu sonné. Il ajoute « on ne voit pas les personnes ».

3- Les erreurs commises

Les bons points tout d’abord. Commencer par le client, oui ! Chiffrer le coût d’un nombre d’incidents pour l’entreprise, bien ! Décrire la situation en nombre d’incidents et en grands pôles de création, obtenir l’adhésion des acteurs, absolument.

Seulement voilà, en l’état ce A3 dit : quelqu’un fait l’analyse pour vous, il va vous apporter les résultats et vous pourrez les exploiter. Patientez, la solution arrive. C’est l’inverse de la philosophie du TPS, et le coach ne s’y est pas trompé. Pour être sûr que je ne continuerai pas dans cette erreur, il m’a enjoint de « montrer les personnes ».

Pour « montrer les personnes » dans le A3, il faut non seulement aller pour de vrai sur le terrain et y rechercher plus directement ce qui empêche la construction de la valeur pour le client. Dans notre cas, le terrain c’est là où se déploient les efforts de réduction du nombre d’incidents. La valeur pour le client, c’est la réduction du nombre d’incidents.

La question à laquelle mon A3 initial tentait de répondre était « Comment faire pour réduire les incidents ? ». Mais cette question me menait dans une impasse. J’en essaie donc une autre : « Pourquoi le nombre d’incidents ne baisse-t-il pas ? ». A partir de là les choses s’éclairent : parce que les personnes en charge de cette baisse ne la réussissent pas. Comment faut-il faire pour bien faire ? Comment font-ils aujourd’hui ? D’où vient l’écart entre ces deux situations ?

Je réalise alors une autre erreur. Ce que j’avais pris pour une visite terrain, à savoir étudier les tickets d’incidents, finalement n’avait rien de la visite terrain. C’était un travail d’analyse, cohérent dans ma logique initiale mais inopérant dans ma nouvelle logique. Je n’avais rien dans les tickets d’incidents qui permettait de répondre à ces questions. De retour sur le terrain, le vrai, les réponses apparaissent : ils ne savent pas comment s’y prendre.

Et ce type de situation, nous savons y remédier (atelier, standard, dojo). Fort de cette nouvelle optique, mon A3 renoue avec ses promesses de gain dont mon erreur initiale l’avait éloigné. Heureusement pour mon entreprise, considérant les montants en jeu.

4- Le cœur de méthode

Je vois 2 enseignements principaux à cette histoire.

Premièrement, concernant le client. Quel est son vrai problème, le nombre d’incidents, mais encore ? Il serait plus juste de dire « le nombre d’incidents qui ne baisse pas ». Si le problème du client est mal énoncé, on peut partir dans une direction mi-figue mi-raisin. À supposer que j’aie réussi lors de ma première tentative, les personnes chargées de réduire les incidents n’auraient rien appris et le vrai problème aurait persisté.

Ensuite, le Gemba -le terrain. « Le Gemba« , ce n’est pas une façon de parler. C’est sur le Gemba réel, sur place auprès des personnes en activité, que les vraies réponses ont été trouvées. Elles ont été trouvées parce que la question était bonne, et tout autant parce que je suis allé là où se trouvaient les vraies réponses.

Conclusion

Finalement une des questions fondamentales dans la démarche du A3 est bien « Qui a besoin d’apprendre à faire quel geste ? ». Cette question nous emmène naturellement sur le terrain. Sur le terrain, avec cette intention en tête, les questions plus méthodiques s’enchaînent : quel problème du client dois-je résoudre ? Quels sont les standards qui s’y rapportent ? En quoi doivent-ils être améliorés ?

Ces questions se posent au quotidien, le A3 est la pratique qui permet de les entendre et d’y répondre. Ai-je su vous convaincre de retourner sur le Gemba ?

Laisser un commentaire