Quel rôle pour le manager dans l’entreprise du 21ème siècle ? (2/2)

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Dans la première partie de cet article, nous avançons que contrairement à une idée qui se répand depuis quelques années, le manager a toujours un rôle essentiel dans l’entreprise du 21ème siècle. Celui de coacher et développer les équipes et d’entretenir une culture collaborative dans laquelle chacun à la possibilité de s’exprimer et de tenter des choses sans crainte de subir les foudres de ses collègues.

Dans cette seconde partie nous allons expliquer en quoi le lean répond parfaitement à ces demandes et pour quelle raison il représente un modèle de management vers lequel convergent de grandes entreprises du numérique.

Contexte de l’entreprise du 21ème siècle

Dans The Future of Management (essai inexplicablement traduit par « La Fin Du Management » en France, désolé j’insiste) Gary Hamel explique pourquoi le monde du 21ème siècle est devenu si imprévisible :

  1. Les changements n’ont jamais été aussi rapides ni à de telles échelles. Aujourd’hui non seulement les avantages s’érodent rapidement pour des entreprises mais des industries entières sont au bord de la banqueroute (transport aérien, musique, presse écrite)
  2. les barrières à l’entrée de marchés n’ont jamais été aussi basses en raison des dérégulations et des technologies. Les compagnies sont donc exposées à des concurrents à très bas coûts.
  3. Internet offre une désintermédiation prodigieusement efficace entre l’offre de service et la demande des consommateurs – cf Uber ou Airbnb
  4. le cycle de vie des stratégies a considérablement réduit. Les nouveaux business sont plus rapides que jamais
  5. Les clients et les employés n’ont jamais été aussi bien informés grâce à internet et au volume d’informations accessibles et facilement navigables.

Principes : théorie et pratique

Dans les découvertes de Google sur le management, découvertes évoquées lors du premier billet, on retrouve 2 caractéristiques essentielles du manager : 1/un coach soucieux du développement des collaborateurs 2/ le soucis de garantir un climat de sécurité psychologique (psychological safety) propice à la collaboration, climat dans lequel chacun peut s’exprimer et expérimenter sans crainte d’être fustigé par ses collègues.

Evidemment, je suis à peu près certain que les évangélistes des différentes approches de management en vogue vont proclamer la main sur le coeur que la méthode qu’ils défendent soutient ces principes et valeurs. Il y a cependant deux questions auxquelles ils vont avoir un peu plus de mal à répondre. Il s’agit de deux questions très précises :

  1. comment, dans les pratiques et routines quotidiennes, le manager (ou l’absence de manager) va garantir que ces principes sont respectés ?
  2. comment savent-ils si elles sont réellement respectées ? Quelles sont les preuves tangibles et factuelles ? Le fameux How do you know what you know de Scott Berkun.

Bud Caddell a rédigé un article remarquable sur le fossé fatidique entre la théorie et la pratique au sujet de la mise en oeuvre de l’holacratie (aka Entreprise Libérée) à Zappos. Cela donne quelques indications sur la difficulté à répondre à ces deux questions.

Développement des personnes et coaching

Revenons donc sur les principes clefs identifiés par les études de Google et intéressons nous de plus près aux pratiques lean et comment celles-ci, chaque jour, dans chaque équipe, pour chacun, incarnent ces principes.

Le manager lean a pour objectif de développer les collaborateurs. La différence essentielle avec d’autres approches est que pour faire cela il s’appuie sur une pratique quotidienne et rigoureuse : la résolution de problèmes par la méthode scientifique (PDCA ou Build Measure Learn dans le Lean Startup).

Le second axe stratégique de développement, remonte à Taiichi Ohno, l’homme qui a inventé le Kanban et qui a porté la vision du flux tiré durant une trentaine d’années dans les usines Toyota. Dans son ouvrage Workplace Management, ou encore dans le témoignage de Takehiko Harada (que Ohno a coaché) on retrouve le même but : améliorer la performance de l’équipe pour pouvoir retirer une personne de l’équipe. Le point important est que la personne qui est retirée est celle qui a la meilleure performance et qui a le mieux aidé l’équipe à s’améliorer. Elle va pouvoir étoffer ses compétences transverses sur de nouveaux processus alors qu’elle rejoint une autre équipe qu’elle elle aussi va aider à s’améliorer. On voit qu’il existe une structure de développement sur deux axes : développement vertical, en profondeur des compétences métier avec la résolution de problème et développement tranversal avec la découverte de nouveau processus alors que l’on rejoint d’autres équipes. Et cela fonctionne ainsi depuis 60 ans.

Apprentissage et performance

La question que pose alors le manager classique est : comment faire pour relier ces apprentissages à mes objectifs de chiffres ? C’est là que la beauté du management par coaching se déploie devant nous. Comment sait-on que l’on s’améliore ? Comment un coureur du 100m sait-il qu’il s’améliore sur le sujet spécifique de ses trois premières foulées ? Comment une joueuse de tennis sait-elle qu’elle s’améliore sur sa première balle de service ? Parce que l’on mesure. Et qu’utiliser comme mesures ? Les indicateurs de performance opérationnelle de l’équipe.

Chaque jour, on suit les indicateurs (la fameuse culture de la mesure, si chère aux géants du web), on ajuste et réagit. On parle d’indicateurs qui sont 1/ importants pour le client de l’équipe et 2/ actionnables par l’équipe. Le rôle du manager est alors de :

  • animer le dispositif (management visuel et point d’animation courts et réguliers)
  • rendre visibles les problèmes opérationnels, exprimés sous forme d’écarts de performance perçus depuis la perspective du client,
  • relier ces problèmes au geste professionnel et
  • comprendre qui doit apprendre quoi pour réussir.

La performance n’est plus un objectif mais un moyen de mesurer l’apprentissage, devenu l’objectif. Et en recréant le lien entre le geste professionnel et la performance perçue par le client, on redonne du sens au travail et à la création de valeur.

Le miracle de la collaboration

Lorsque nous démarrons des projets d’accompagnement nous insistons toujours longuement sur les 10 principes de l’esprit Kaizen. On passe souvent pour des doux rêveurs auprès d’équipes que la « vraie vie » a un peu endurci et rendu cyniques. Mais ces mêmes cyniques se retrouve peu à peu démunis lorsqu’ils constatent que semaine après semaine nous sommes extrêmement sérieux avec ces principes, en particulier le 3ème : ne pas blâmer, ne pas critiquer, aller voir de soi-même. Dès lors que l’on devient doux avec les personnes et dur avec les situations, dans nos actes, la bienveillance se diffuse au niveau de l’équipe et la malveillance est de moins en moins acceptée.

Ensuite, le fait d’avoir un management visuel sur le mur permet de montrer sans ambigüité la performance de l’équipe. Remarquons que cet affichage transparent, au vu et su de tous, est une action délibérée où l’équipe s’expose et se rend vulnérable. Et on sait depuis Brenée Brown ou John Hagel que la vulnérabilité est une des clefs pour obtenir la confiance. Les problèmes sont rendus visibles sous formes d’écart et on ne blâme personne : on prend comme postulat que chacun fait de son mieux dans le contexte donné. Nous sommes côte à côte face aux problèmes que l’on analyse ensemble et la dynamique collaborative se trouve transfigurée. C’est ainsi, dans ce contexte sécurisé, qu’émergent des idées d’expérimentation et des petites améliorations, chaque jour, qui seront toutes validées selon la rigoureuse méthode scientifique du PDCA.

Les résolutions de problèmes étant elles aussi affichées et reportées sur l’évolution de la performance, l’apprentissage de l’équipe est lui aussi visible. Lorsque les dirigeants viennent sur le terrain ils peuvent voir de façon très précise ce que les équipes ont appris sur le mois courant. C’est un système d’une robustesse admirable.

Ce petit miracle s’est produit sur la quinzaine d’équipes que j’ai à ce jour accompagnées. La beauté de la chose est que ce rêve de changement de culture se produit grâce à ces petites pratiques quotidiennes, sans ne jamais avoir recours à de longues tirades théoriques ni de révolution. Un directeur et une middle manager en visite sur le projet d’amélioration de la seconde équipe avec laquelle je travaillais dans leur direction m’avouèrent ainsi qu’ils trouvaient impressionnante la capacité de cette approche à transformer la dynamique collaborative, l’agilité et la performance de leurs équipes.

Lean et Stratégie numérique

Il n’est pas étonnant dès lors de constater que lorsque Ed Catmull (CEO de Pixar et défenseur farouche de la candeur, autre forme de bienveillance) a réfléchi à un système de management pour maintenir la créativité de son entreprise, il s’est naturellement tourné vers le système Toyota. Il n’est pas étonnant non plus de constater les très nombreux pounts de convergence entre les méthodes agiles ou l’approche d’ingénierie logicielle XP (Kent Beck est un grand admirateur de Ohno) et le lean. Il est, enfin, établi que que l’approche Lean Startup est devenu le modèle de facto de Business Development de la majorité des startups qui émergent aux quatre coins de la planète. Une approche de management adaptée aux contextes de grandes incertitudes.

Système d’apprentissage Vs Système de gestion de la connaissance

Product design/development is a constant learning process. You learn with small learning cycles (iteration) (…) In any industry nowadays, the fastest learner wins. if your competitor are faster learners then you’re in trouble (Mary Poppendieck)

A mesure que nous avançons dans cet article nous voyons émerger plus précisément le rôle du manager dans l’entreprise du 21ème siècle : animer l’apprentissage permanent. On ne parle pas ici de d’instruction (apprendre des types de solutions existantes à appliquer). On ne parle pas non plus de Gestion de La Connaissance. Cette vision d’ingénieur consistant à codifier la connaissance dans d’énormes bibliothèques numériques indexées de façon taxinomique. Google a montré de façon éclatante combien ce paradigme éculé ne répondait pas au besoin des personnes dans un monde saturé d’informations. Pfeiffer et Sutton (Knowing Doing Gap) l’expliquent de façon plus précise dans le contexte des organisations :

Knowledge Management systems are often divorced from day-to-day activities, they are formal systems which can’t store knowledge that isn’t codified, they treat knowledge as a static material and as such fail to capture the tacit knowledge. Most importantly, they can’t deal with a given work philosophy.

Nous ne cherchons pas à accumuler des stocks de savoir à travers de nombreuses lectures ou des formations théoriques mais à construire une connaissance validée du monde alors que l’on se confronte à lui, à travers l’action et la mesure de l’effet de ses actions. Connaissance Validée, le résultat de l’approche Lean Startup et du Build, Measure Learn de Eric Ries.

Comme l’explique admirablement Michael Ballé, le lean est un système pour apprendre à apprendre. Pour être plus exact : un méta-système d’apprentissage.

Management pour le 21ème siècle

Ce que Google a découvert à travers les études menées dans le cadre des projets Oxygen et Aristote, Toyota l’a découvert tout au long du XXème siècle à mesure que l’entreprise déployait son système de production. C’est son système de production qui a amené, par nécessité (créer de la richesse dans des marchés saturés), son système de management.  La litterature Lean (Dan Jones, Jim Womack, Michael Ballé, Mike Rother) explique très bien comment, lorsque les consultants et experts ont commencé à étudier le mode de management Toyota ils se sont d’abord intéressés aux outils (5S, Kanban, pilotage quotidien des activités, management visuel, poka yoke etc …). Ce n’est qu’en constatant les échecs de mise en oeuvre de ces outils qu’ils ont réalisé où se trouvait la source de l’efficacité du système : l’apprentissage permanent, de tous, chaque jour, à travers la résolution de problèmes par l’approche scientifique.

Comme dans les grands romans, la suprême élégance du système lean est qu’il propose deux niveaux de lecture : un théorique pour ceux qui, comme moi, sont passionnés par la théorie managériale. Mais surtout un niveau extrêmement actionnable par tout un chacun avec ces principes encodés dans des pratiques et des routines quotidiennes à chaque niveau de l’organisation : depuis le dirigeant, jusqu’aux collaborateurs créant de la valeur. En passant naturellement par le manager, clef de voûte du système.

Si le lean est un mode de management parfaitement adapté aux marchés du 21ème siècle c’est parce qu’il place l’apprentissage permanent au coeur de la stratégie de l’entreprise. Dans un contexte économique caractérisé par des marchés saturés et de grandes incertitudes, donner la capacité à apprendre aux équipes est un gage de grande adaptabilité décentralisée (donc d’agilité) et de résilience de l’organisation.

Au coeur de cette stratégie, le manager a pour rôle de s’assurer que chacun, chaque jour, développe de nouvelles compétences alors qu’il résout des problèmes pour améliorer le service ou le produit livré au client. Un rôle indispensable.

 

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