Il n’y a pas de manifeste Lean. Voici pourquoi

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Traduction de l’article « There is no Lean manifesto… Here’s why » de Michael Ballé et Dimitri Baeli paru sur Planet-Lean.com

Synopsis – Pourquoi le Lean n’a-t-il pas de manifeste ? Les auteurs mettent en évidence les principes fondamentaux et les valeurs de la pensée Lean, mais avertissent qu’on ne peut aller bien loin sans l’apprentissage développé, chaque jour, par la résolution du problème suivant.

Par Dimitri Baeli, Directeur Technique chez LesFurets.com, et Michael Ballé, auteur, Coach de CEO et cofondateur de l’Institut Lean France

Le Manifeste Agile a été LA référence pour tous les développeurs qui cherchent une meilleure façon de créer des logiciels depuis 2000. Dix-sept ans après son écriture, il est tout aussi pertinent – portant les valeurs de base des agilistes à travers le monde.

Si vous n’avez jamais parcouru le Manifeste Agile, il est intéressant de lire ce qu’il dit (la source originale peut être trouvée ici):

« Nous découvrons comment mieux développer des logiciels par la pratique et en aidant les autres à le faire.

Ces expériences nous ont amenés à valoriser :

  • Les individus et leurs interactions plus que les processus et les outils
  • Des logiciels opérationnels plus qu’une documentation exhaustive
  • La collaboration avec les clients plus que la négociation contractuelle
  • L’adaptation au changement plus que le suivi d’un plan

Nous reconnaissons la valeur des seconds éléments, mais privilégions les premiers.

Nous suivons ces principes :

  1. Notre première priorité est de satisfaire le client en livrant rapidement et régulièrement des fonctionnalités à grande valeur ajoutée.
  2. Accueillez positivement les changements de besoins, même tard dans le projet. Les processus Agiles exploitent le changement pour donner un avantage compétitif au client.
  3. Livrez fréquemment un logiciel opérationnel avec des cycles de quelques semaines à quelques mois avec une préférence pour les plus courts.
  4. Les utilisateurs ou leurs représentants et les développeurs doivent travailler ensemble quotidiennement tout au long du projet.
  5. Réalisez les projets avec des personnes motivées. Fournissez-leur l’environnement et le soutien dont ils ont besoin et faites-leur confiance pour atteindre les objectifs fixés.
  6. La méthode la plus simple et la plus efficace pour transmettre de l’information à l’équipe de développement et à l’intérieur de celle-ci est le dialogue en face à face.
  7. Un logiciel opérationnel est la principale mesure d’avancement.
  8. Les processus Agiles encouragent un rythme de développement soutenable. Ensemble, les commanditaires, les développeurs et les utilisateurs devraient être capables de maintenir indéfiniment un rythme constant.
  9. Une attention permanente à l’excellence technique et à la bonne conception renforce l’Agilité.
  10. La simplicité – c’est-à-dire l’art de minimiser la quantité de travail inutile – est essentielle.
  11. Les meilleures architectures, spécifications et conceptions émergent d’équipes auto-organisées.
  12. À intervalles réguliers, l’équipe réfléchit aux moyens de devenir plus efficace, puis règle et modifie son comportement en conséquence. »

Pour prendre une phrase sur la stratégie de Toyota, le Lean consiste essentiellement à « relever les défis en impliquant le talent et la passion des personnes qui croient qu’il y a toujours une meilleure façon. » Jusqu’ici tout va bien.

Alors, pourquoi n’y a-t-il pas de manifeste Lean ?

L’idée de définir des valeurs Lean dans une seule page est certes très attirante, mais est-ce possible ? Une difficulté est, bien sûr, que la pensée Lean n’est pas absolue – il serait très difficile de dire que « c’est mieux que cela » dans tous les cas. Il ne fait aucun doute que la sécurité est meilleure que pas de sécurité, et la qualité est meilleure que le travail bâclé, mais quand il s’agit de la façon d’atteindre ces objectifs, la seule réponse est : cela dépend. Par exemple, assurer la sécurité en créant des machines plus complexes et protégées ne fonctionne pas nécessairement, car les êtres humains trouveront un moyen de contourner un processus encombrant et prendront de nouveaux risques imprévus. De même, l’assurance de la qualité est très différente de la qualité parce que les gens ont tendance à confondre la carte et le territoire, et qu’ils confondront des listes de contrôle et la paperasserie correctement remplies avec le travail réel, manquant de concentrer leur attention sur les points qui mènent à la qualité réelle.

La pensée Lean, par exemple, aurait une préférence générale pour les individus et les interactions plutôt que pour les processus et les outils, mais dans des cas spécifiques, la discipline du processus et la rigueur des outils sont tout aussi essentielles pour favoriser la réflexion des personnes et le travail d’équipe. Si l’on considère les quatre valeurs directrices du Manifeste Agile, on dirait que les penseurs Lean auraient un parti pris envers eux, mais pas une préférence systématique. Tout dépend du contexte.

Pour comprendre comment fonctionne cette pensée à l’envers, considérons un ensemble de questions :

  • Quelle plus grande valeur ajoutée (en termes de fonctionnalité ajoutée, de facilité d’utilisation ou de coûts réduits) devez-vous apporter à votre produit ou service pour mieux aider les clients à faire ce qu’ils veulent faire afin qu’ils préfèrent travailler avec vous plutôt que vos concurrents ?
  • Pour trouver cette valeur ajoutée, où les gens devraient-ils approfondir leur expertise technique et leur capacité à travailler ensemble pour arriver à une meilleure compréhension des problèmes et des solutions plus ingénieuses ?
  • Afin de découvrir ces leviers d’amélioration cachés, comment les exigences de qualité, de flexibilité et de diversité peuvent-elles être accrues dans les processus existant pour faire apparaître les opportunités d’amélioration tout en réduisant le lead-time ?
  • Comment engager chaque personne et chaque équipe dans le kaizen pour qu’elles exploitent ces opportunités d’amélioration et découvrent des mauvaises habitudes de travail ou des idées fausses, mais aussi les bonnes pratiques (qui sont formalisées dans de meilleurs standards de travail) ?
  • Comment soutenir les progrès de chaque personne et l’aider à surmonter les obstacles auxquels elle est confrontée afin de l’amener à développer pleinement ses capacités, tout en soutenant les équipes dans la gestion et l’amélioration de leur propre environnement de travail, et en développant par ailleurs la confiance mutuelle entre la direction et les employés ?

Ces questions clés ne sont pas des grands principes, mais bien des moyens concrets de construire la prochaine étape qui améliorera la situation existante, avec les gens sur le terrain, par opposition à régler le problème sur papier et leur dire d’exécuter le plan. Certes, les personnes se basent sur nos croyances concernant la façon dont une entreprise doit être gérée – quelque chose que, au fil des ans, nous avons longuement discuté et essayé d’encadrer en termes de « manifeste » pour suivre l’exemple du Mouvement Agile.

Comme nous l’avons dit, il n’y a pas de Manifeste Lean. Mais s’il en existait un, nous pensons qu’il ressemblerait à çà :

Nous découvrons de meilleures façons de ravir les clients en le faisant et en aidant les autres à le faire. Grâce à ce travail, nous avons identifié la valeur :

– Les clients sont des amis qu’il faut aider plutôt que des sources de revenus.

– Les performances proviennent d’une dynamique d’amélioration plutôt que de l’optimisation des processus.

– L’innovation est le résultat du développement des capacités des personnes plutôt qu’une vision définie par le sommet, exécutée de façon disciplinée par la base.

– Un système d’apprentissage encourageant le talent, l’ingéniosité et la passion plutôt qu’un système de gestion qui favorise la conformité et l’exploitation.

– Développer davantage de leaders plutôt qu’obtenir plus de partisans.

Ainsi, alors qu’il y a de la valeur dans les éléments situés à droite, nous privilégions plus les éléments situés sur la gauche.

Nous suivons les principes suivants :

  1. Aller sur le lieu de travail (nous l’appelons Gemba) pour voir les faits et se mettre d’accord sur ce que sont les problèmes.
  2. Mettre les clients en tête de nos préoccupations et s’efforcer de les aider à résoudre leurs problèmes selon leur point de vue.
  3. Préserver les employés, physiquement et moralement.
  4. Accélérer les flux pour réduire le délai d’exécution en améliorant la coopération par le biais du système just-in-time.
  5. Réduire les retouches en approfondissant les compétences techniques et en refusant la non-qualité (le Jidoka).
  6. Lisser la charge de travail pour éviter la variabilité, les surcharges et les gaspillages.
  7. Développer l’autonomie de chacun pour résoudre des problèmes en enseignant l’élaboration de standards et en encourageant la réflexion approfondie.
  8. Développer la confiance de l’équipe et la personnalisation de ses méthodes de travail par l’amélioration continue (kaizen).
  9. Encourager la confiance mutuelle entre les employés et la direction par la stabilité des équipes et de la charge de travail.
  10. Challenger les équipes pour mieux visualiser le travail et révéler les problèmes.
  11. Il n’existe pas de processus parfait, et l’amélioration continue (kaizen) est toujours possible en proposant de nouvelles idées et en travaillant au mieux de nos capacités.
  12. Respecter tous les points de vue : le succès naît de l’effort individuel et du bon travail d’équipe.

Nous avons formulé ces 5 valeurs et 12 pratiques fondamentales après des années de recherche pour le prochain livre, The Lean Strategy, que l’un d’entre nous (Michael) a écrit avec Dan Jones, cofondateur du mouvement Lean, Orry Fiume, père du Lean en comptabilité, et Jacques Chaize, membre fondateur de la branche française de la Society for Organizational Learning. Aucun penseur Lean ne saurait les remettre en question.

Mais est-ce suffisant pour bien décrire les aspects intrinsèques de la pensée Lean?

Voici là où ça coince. Alors que ces idées peuvent certainement servir de drapeau de ralliement pour les personnes les partageant, celles qui les mettent en œuvre ne semblent pas aborder l’une des idées plus profondes sous-jacentes Lean : apprendre par la pratique. Il n’y a rien de mal dans ces valeurs, mais en termes d’apprentissage, elles sont souvent «trop générales» : il y a probablement beaucoup de manières non-Lean de s’y conformer (peut-être moins pour les pratiques de base). Contrairement aux cinq questions que nous avons posées plus tôt dans cet article, avoir des valeurs générales ne nous conduit pas vers l’étape suivante très spécifique, que nous devons identifier, qui nous sortira de notre zone de confort pour nous ouvrir la voie vers l’apprentissage de quelque chose que nous ignorions ou d’inattendu. Cela ne nous aide pas à apprendre quelque chose de nouveau.

Le Lean est plus qu’une simple méthode de management. C’est une méthode pour apprendre à apprendre. Cela signifie apprendre ce que vous avez besoin d’apprendre pour réussir dans un environnement mystérieux, brumeux, changeant, par opposition à « apprendre » plus sur ce que vous savez déjà. L’approche utilisée par le Lean, l’apprentissage par la pratique, reste très difficile. Peu importe votre degré d’expérience ou d’expertise. Il y a toujours une prochaine étape pour découvrir ce qui nous attend, et le Lean est une méthode pour découvrir cette prochaine étape en direction de vos objectifs. Cela tient à la fois des stratégies d’apprentissage, des outils du changement étape par étape, et de la découverte du chemin de l’apprentissage.

Ne vous méprenez pas : nous croyons absolument aux valeurs et principes fondamentaux mis en évidence ici. Mais nous pensons aussi que cela ne suffit pas à saisir la nature unique et concrète de la pensée Lean, qui commence par résoudre des problèmes pratiques, ici et maintenant, avec les gens qui font le travail, puis à faire son chemin intellectuel sur ce que cela implique. Oui, ces valeurs et ces principes nous aident à nous orienter et à voir quel chemin les améliorations doivent prendre, mais ce qui importe chaque jour est la prochaine étape et la réflexion portant sur cette prochaine étape.

 

Cela nous ramène à la réponse la plus exaspérante que vous pouvez obtenir d’un sensei Lean dans une situation donnée : « Cela dépend. Quel est le problème que vous essayez de résoudre? ». La vérité c’est qu’aucun Manifeste Lean ne peut répondre à toutes nos questions … nous aurons juste à apprendre en faisant.

 

Traduction de Frédéric Buono

Une réflexion sur “Il n’y a pas de manifeste Lean. Voici pourquoi

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