Le Lean au service du client par Womack et Jones

Jim Womack et Daniel Jones sont avec Jeffrey Liker (auteur de Toyota Way) ceux qui ont le plus grandement contribué à la diffusion du management Lean dans le monde occidental. Co-auteurs de La machine qui va changer le monde dès 1990 (pour la version originale en anglais) qui explique le mode de production Lean, puis de Système Lean (1ère édition US en 1996) dans lequel les auteurs essayent d’expliquer le cœur de l’approche systémique du Lean, les deux auteurs s’attachent ici à étendre cette pratique de management au monde des services.

La vision des deux hommes est d’une grande limpidité : un monde de services fluides, sans frottement, qui respecte les besoins (et le temps !) du client. Partant d’expériences courantes et de différents cas d’études, les auteurs montrent que l’approche Lean et ses grands principes sont parfaitement adaptés pour résoudre les tracas provoqués par des services souvent inadaptés. Et voici comment …

Au cœur de relation client

Il ne suffit pas de faire des campagnes de communication pour expliquer que la satisfaction client est primordiale mais bien de l’obtenir en pratique pour chaque client.

Le Lean mettant un point d’honneur à placer chacune des actions depuis la perspective client, le bien fondé de son application dans le monde des services semble une évidence. Pourtant, si on se place depuis la perspective du processus qui incarne le flux, on peut questionner la pertinence de cette approche pour des interactions avec le client. Jones et Womack apportent là une belle réponse :

Peut-on standardiser des processus humains ? Sans doute pas. Cependant il est possible de standardiser le cadre de travail dans lequel lequel l’interaction se produit.

Les vertus du réel

Comme le rappelle Michael Ballé dans la préface, la vertu du Lean vient du fait que cette pratique s’attaque à remettre en cause les éléments implicites de l’organisation. Au management standard qui prend comme présupposé que le travail de tous les jours est opérationnel, bien organisé et qu’il met convenablement en musique les processus définis, le Lean questionne et mesure tout. En ce sens il est toujours au contact de la vérité, celle des opérationnels qui créent de la valeur sur le terrain, pas celle des slidewares des managers ou des reportings excel d’activités. Il pose en permanence ces questions : comment êtes-vous certain que votre processus fonctionne, que votre organisation produit de la valeur, que vos équipes sont mises dans les meilleures conditions pour réussir, que votre client est satisfait ?

Les cinq piliers du Lean (valeur depuis l’œil du client, voir la chaîne de création de valeur, organiser le processus en flux, faire que ce flux soit tiré par la demande client pour connecter la production au besoin et s’inscrire dans l’amélioration continue par la résolution de problèmes) se retrouvent ici déclinés dans le monde du service, depuis la perspective du client :

– résolvez entièrement mon problème

– là où je le veux

– quand je le veux

– en fournissant exactement ce dont j’ai besoin

– sans me faire perdre mon temps.

Comprendre le problème

Au départ il y a donc le problème du client mais, malheureusement, bien souvent on ne traite que le symptôme, on ne va pas à la source même du problème et du coup on ne le résout pas complètement. Les auteurs donnent ici l’exemple du Call Center géré par Fujitsu où l’objectif n’est plus de répondre au plus grand nombre de demandes mais de s’assurer que le problème du client est résolu du premier coup et qu’il n’y aura pas de rappel.

Cela permet d’obtenir une meilleure satisfaction client. On retrouve un exemple semblable dans l’article d’Isaac Getz sur le Liberating Leadership avec les assurances USAA.

La proposition de valeur du Lean est vue par les auteurs comme une élément essentiel pour les économies occidentales. Plutôt qu’abandonner des pans économiques aux pays émergents pour un coût réduit, l’idée est d’améliorer la productivité occidentale à un tel niveau que cela remette en cause la pertinence de la justification économique de la délocalisation. Par ailleurs, sous-traiter les activités de support client leur semble une aberration car c’est à travers ce canal que l’on échange avec le client dans la plus grande proximité. Sous-traiter revient à faire perdre à l’entreprise l’occasion d’apprendre de son client.

Epargner son temps

Un autre point très bien vu par les auteurs est celui que les entreprises confient une partie du travail à ses clients. Ainsi lorsque nous construisons le mobilier en kit que nous venons d’acheter, lorsque nous procédons à des recherches pour comprendre la source du problème rencontré par un équipement dont nous avons fait l’acquisition, lorsque nous amenons notre véhicule chez le garagiste : nous nous adonnons à du travail non rémunéré. C’est ce dernier exemple, éloquent, qui est donné par les auteurs puis analysé.

L’étude scrupuleuse de la chaîne du valeur et du temps passé fait apparaître un gaspillage important. Celui-ci peut être considérablement réduit en ajoutant des compétences dès les premiers échanges avec le client comme le montre le cas d’étude exemplaire des garages Simao au Portugal. Un procédé identique peut tout aussi bien réduire de façon significative le temps perdu lors d’un rendez vous médical comme ils le montrent avec l’histoire du Dr Murray en Californie.

Des exemples quotidiens, qui ne font pas rêver mais qui sensibilisent bien sur le caractère universel de l’approche Lean. De cela, les auteurs ont la perspicacité d’extraire des principes de fonctionnement pour le prestataire de service :

1- Prendre le temps de dialoguer avec le client pour mieux le connaître et comprendre ses attentes. Cela peut sembler un peu éventé comme recommandation, mais si l’on se place d’un point de vue de la pratique quotidienne posez-vous la question pour savoir si vous le faites.

2 – Pré-diagnostiquer le problème pour être capable d’orienter le client lors de son arrivée vers le bon service. Par ailleurs, cela permet du côté du prestataire de service d’anticiper les besoins.

3 – Lisser la demande pour éviter les pics de charge.

4 – Economiser du temps des salariés en créant des flux de travaux prévisibles. Exemple : un circuit pour les travaux simples aux délais stables et d’autres pour les travaux complexes en séparant ceux aux délais inconnus et ceux aux délais stables.

Ce que l’on veut exactement

Il s’agit là de l’exemple le plus saisissant : celui de Tesco et du système mis en place pour complètement revoir leur chaîne d’approvisionnement pour fournir au client ce qu’il attend. Dans un supermarché moderne, les auteurs expliquent que nous n’avons que 92 % de chance de trouver exactement l’article que nous voulons. Comme lorsque nous faisons les courses nous achetons 40 articles, il n’y a que 4 % de chances pour que nous achetions exactement les 40 produits souhaités.

Ce qui a été mis en place chez Tesco est un flux tiré par le client. Un flux dont la première étape de mise en place consiste à établir un lien entre les statistiques de caisse du magasin et les décisions d’expédition prise au centre logistique. La livraison régulière (plusieurs fois par jour) par petits lots permet de réduire le taux d’amplification (plus on travaille avec de gros volumes, plus l’approximation induit un taux d’amplification important). Une fois cela mis en place l’objectif a été de comprimer le flux fournisseur dans le temps et l’espace.

Cette approche permet aussi de produire plus près de l’endroit de consommation et de ré-acheminer du travail dans les pays occidentaux, ce que fait déjà Nike pour les produits personnalisés. Pour résumer, les principes de la chaîne d’approvisionnement Lean s’expriment ainsi :

– Instaurer un point unique de déclenchement des commandes régulant le flux tiré dans sa totalité (depuis le client).

– Signaler le besoin de reconstituer les stocks fréquemment à l’aide de technologies de l’information à bruit faible (i.e oubliez les MRP et ERP).

– Renouveler les stocks souvent par petites quantités, à tous les points du flux en amont.

– Localiser la production et la distribution aussi près du client que possible.

Les circonstances du client

Un autre point éclairant évoqué ici est celui du rapport au client : celui-ci n’est pas catégorisé en fonction de son profil socio-culturel, classe d’âge etc … mais selon les circonstances du moment et du problème qui est le sien à un instant donné. Une idée que l’on retrouve dans la présentation de Clayton Christensen « The job your product does« . Cela donne ainsi une tout autre perspective à ce « où et quand le client désire ». Les auteurs expliquent ainsi qu’il est possible de lisser la charge en proposant une offre récompensant un client qui préfère attendre un peu pour un prix plus avantageux. C’est d’ailleurs le modèle des compagnies aériennes qui vendent des billets d’autant moins chers qu’ils sont achetés à l’avance.

Stratégie organisationnelle et directeur des processus

Tout cela est bel et bon mais quid de la mise en œuvre ? Les préconisations des auteurs pour la mise en œuvre gravitent autour de l’idée d’un directeur des processus, une sorte de Chief Process Officer qui disposerait d’une petite équipe pour mener la transformation.

Ce CPO évaluera les processus créateurs de valeur clé de l’entreprise en se mettant à la place du client et en demandant comment relier de façon fluide les flux fournisseurs et flux clients. Son rôle sera de déterminer le processus en ligne avec la stratégie et de déduire la structure organisationnelle capable de le faire vivre.

L’équipe aura en outre comme responsabilité de s’assurer que 3 conditions de réussite d’un processus sont remplies : l’équipe le voit complètement, en comprend la logique et la nécessité de le modifier et croit en sa vertu.

Le Lean dans les services

Un ouvrage qui adapte la pensée Lean au monde des services. On y trouve de nombreux points éclairants, appuyé par des cas d’étude : flux tiré depuis le client, flux d’approvisionnement fréquent par petits lots, l’organisation du support plus compétente permettant de faire gagner du temps à tous, la perspective du service depuis le client.

Un point que l’on peut mentionner est celui de la boucle d’information rapide entre l’entreprise et le client. Les auteurs imaginent alors (on est en 2005) des nouvelles technologies permettant à l’entreprise d’établir cette architecture de services Lean avec le client. Il est est étonnant de constater comme l’avènement des Social Media remplit ce rôle, point qu’a très bien perçu Steve Bell.

On y trouve aussi des assertions discutables. Par exemple : « On achète des produits pour résoudre un problème ». C’est peut-être la perspective de deux experts du Lean mais ce n’est certainement pas celle de Joseph Potter et Andrew Heath. Des visions plus discutables aussi telles que celle consistant à imaginer notre existence comme une suite de consommation de services sans aucune friction avec le monde, vision dont le fondement même amène un questionnement philosophique traité par Matthew Crawford.

D’autres idées dont on peut questionner la validité du business model telle celle des flottilles de petits avions reliant de points à points des petits aérodromes, où le check-in ne durerait qu’une quinzaine de minutes ou encore l’achat de chaussures 3 mois en avance.

Mais le sujet n’est pas tant cette spéculation future mais plutôt la réalité opérationnelle pour laquelle le Lean apporte une vraie valeur, mesurée et constatée.

Lean dans les services : pour aller plus loin

Venez rencontrer des experts du Lean dans les services et échanger avec ceux qui le pratiquent au quotidien à la journée thématique organisée par l’Institut Lean France le 7 juillet 2016. Retrouvez des témoignages des éditions précédentes sur le blog Lean Services.

Ecoutez les présentations de Marie-Pia Ignace, experte et pionnière du Lean dans les Services :

Les 3 objectifs du Lean dans les services par Marie-Pia Ignace

Lean dans les Services et respect des collaborateurs par Marie-Pia Ignace

2 réflexions sur “Le Lean au service du client par Womack et Jones

Laisser un commentaire