Oui, le manageur a de l’influence sur l’entreprise !

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Je concluais mon dernier billet sur le manageur Lean avec l’idée suivante :

Si la mise en place du management Lean est considérée par un manageur comme un projet, avec une date de début, des actions et une date de fin, il y a peu de chance que l’amélioration continue s’installe dans le temps.

A contrario, si elle est considérée comme une école de management qui permet de changer ses propres pratiques, l’amélioration est potentiellement infinie (cf mon billet sur la multiplication de la productivité).

Ce point de vue m’a amené plusieurs types de commentaires et notamment une vraie incrédulité d’un petit groupe de chefs de projet : si l’organisation est devenue réellement plus performante, pourquoi le manageur l’abandonne-t-il ? Pourquoi le manageur considère-t-il le nouveau système comme un projet dont on peut tourner la page ?

La réponse peut paraitre directe mais la performance et l’amélioration de la performance ne sont pas dans les missions du manageur classique. Elles ne sont pas non plus dans la feuille d’objectifs annuels. Et, enfin, elles ne sont pas évoquées telles quelles dans les discussions qu’il peut avoir avec son dirigeant. Pourquoi alors s’intéresserait-il de lui-même au Lean management ?

Cette réponse a laissé perplexe le groupe de chefs de projet. Je leur ai demandé de réfléchir à leurs expériences professionnelles antérieures et ils ont confirmé mon diagnostic. Vous pouvez faire le vôtre : la performance (satisfaction client, qualité, délai, qvt) fait-elle partie de vos discussions ou de celles de vos manageurs ? Et l’amélioration de la performance ?

Le groupe, en veine de questions, s’est demandé pourquoi le sujet n’est pas dans le radar d’attention managériale.

La réponse est dans l’histoire du management. Cédric Pourbaix, dans son intervention à l’Agile Tour Lille (ici), a rappelé ce qu’était le management du 20e siècle et Cecil Dijoux, dans son livre Hyperlean, cite les résultats du projet Oxygen[1] de Google :

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Quel choc quand on compare les deux ! Rien dans le modèle d’Henry Fayol ne fait référence au succès de l’équipe ou au développement des compétences des collaborateurs. Il décrit un monde qui ne donne pas envie : pas de sens, pas d’esprit d’équipe, pas de place pour l’initiative.

Ceci dit, c’est encore un modèle dominant, regardez autour de vous.

Troisième question de mon groupe : dans ce cas, comment certaines entreprises deviennent-elles Lean ?

Excellente question dont la réponse est fournie inlassablement par les grands experts du Lean : il n’y a pas d’entreprise Lean, il y a un dirigeant Lean.

En effet, le dirigeant structure la posture des encadrants. Je pense à Pierre Vareille, président successif de plusieurs entreprises allant de 5 000 à 15 000 salariés. Voici comment il a défini, à chaque fois, les indicateurs dont il discutait avec ses encadrants :

  1. nombre d’accidents du travail
  2. nombre de suggestions (améliorations) mises en œuvre
  3. nombre de réclamations de clients
  4. taux de livraisons en retard
  5. respect du plan de production
  6. durée des pannes machines.

Six indicateurs identiques dans trois entreprises différentes. Avec à chaque fois un objectif d’amélioration pour chaque indicateur avec une cible à 25 mois. (la présentation est ici)

Imaginez la situation : un nouveau manageur prend en juillet la responsabilité d’un atelier de soudure dans lequel travaillent 100 personnes. Il a une grande liberté pour organiser le travail mais on lui demande de communiquer tous les mois sur les six indicateurs.

Le manageur qu’il remplace avait mis en place le Lean management et s’y tenait. Sur l’indicateur “taux de livraison en retard”, ce manageur avait obtenu comme résultats :

Janvier Février Mars Avril Mai juin
63 61 59 60 58 55

ce qui représente une amélioration de 13 % en six mois. L’objet à atteindre est de 46 à la fin de l’année.

Que va faire notre nouveau manageur ? Démonter les pratiques Lean pour installer celles dont il a l’habitude ? C’est un risque qu’il ne prendra longtemps pas car la direction l’évaluera non pas sur ses méthodes mais bien sur l’impact de ces méthodes sur les indicateurs. D’ailleurs, lorsqu’un indicateur dérape, le dirigeant Lean pose comme 1ère question : qu’as-tu changé dans la dernière période ? (et non pas, qu’est-ce qui a changé ?). En préconisant, si les résultats antérieurs sont meilleurs, de revenir aux pratiques antérieures.

J’ai vu ce mécanisme à l’œuvre chez des directeurs d’agences bancaires. Le 1er avait déployé le Lean management dans son organisation, sur l’incitation de son directeur de zone, avec comme indicateurs :

  • la satisfaction des clients venus en agence ;
  • le temps d’attente avant d’arriver au guichet ;
  • le nombre de rendez-vous des commerciaux ;
  • le nombre de ventes des commerciaux.

Pendant l’implantation du Lean, les indicateurs avaient fortement progressé (+10 points par exemple pour la satisfaction client) et avaient continué à s’améliorer régulièrement ensuite. Puis le directeur de l’agence avait été nommé ailleurs et son remplaçant, confiant dans ses propres méthodes, avait commencé à remettre certaines pratiques en cause, à commencer par la gestion de l’accueil du client et l’organisation des files d’attente au guichet. La dégradation des deux premiers indicateurs a été immédiate.

Le directeur de zone est venu dans l’agence dès le mardi suivant pour lui expliciter les règles du jeu : le remplaçant pouvait s’organiser comme il le souhaitait pour peu que… les indicateurs s’améliorent. Il a pris le temps de lui expliquer les raisonnements sous-jacents aux choix faits non par son prédécesseur mais par l’équipe de l’agence. Enfin, il l’a incité à faire confiance à ses collaborateurs et à s’appuyer sur eux pour aller dans la bonne direction.

Bref, il n’y a pas d’entreprise Lean sans dirigeant Lean.

Notre discussion a dû prendre fin sur ces considérations. Les chefs de projet se sont séparés en citant la phrase attribuée à Darwin :

“Il n’y a pas d’obligation de changer ; il n’y a pas non plus d’obligation de survivre.”

[1] Après un premier projet (Aristote) qui a démontré que les manageurs étaient indispensables, Google a lancé un projet de recherche multi-annuel (Oxygen) pour définir le rôle du manageur. Plus d’informations ici.

Une réflexion sur “Oui, le manageur a de l’influence sur l’entreprise !

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