1- La peur de ne pas savoir faire, de ne pas maîtriser
“Vais-je y arriver ? Je n’ai pas la moindre idée de la manière de m’y prendre.” Faire confiance à la méthode quant à son efficacité, aux personnes quant à leur volonté de bien faire, et à leur capacité de trouver par elle-même des sujets pertinents et des actions efficaces.
Faire confiance à mon propre parcours lean et surtout à mon sensei.
Appliquer à moi-même mes propres méthodes, et rédiger mon log book quotidien. Chaque jour de coaching.
Mon kaizen à moi, que dois-je apprendre de mon métier de coach ? Je ne suis pas là du tout pour résoudre moi-même tel ou tel problème, mais pour montrer des portes et donner envie de les franchir. La plus géniale de mes idées, quand bien même elle ne déboucherait pas sur une catastrophe, ne sera jamais que la mienne.
Si j’ai de la chance, moi qui ne connais rien au métier de mon client, qui suis-je pour lui imposer telle ou telle solution ?
Si je n’ai vraiment pas de chance, je connais bien le métier de mon client, et je crois alors avoir de très bonnes raisons de vouloir lui imposer ma solution…
« Les choses qu’il faut avoir apprises pour les faire, c’est en les faisant que nous les apprenons » disait Aristote.
2- La colère de ne pas convaincre
“Ce n’est pas possible de refuser à ce point des évidences !”. Évidences qui ne le sont évidemment que pour le coach. “Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé”, disait Einstein.
Caler mon rythme sur celui du second danseur plutôt que de lui imposer le mien. Accepter d’emblée ses sujets à lui. (Sauf erreur manifeste, exceptionnellement rare). Terminer une amélioration mesurée plutôt que d’en ouvrir dix. Réduire le périmètre à un petit kaizen plutôt qu’à “la paix dans le monde”. Moins d’échafaudages, plus de briques posées. Moins d’explications, plus de pourquoi ? Moins d’injonctions, plus de sens donné. Que cherchez-vous à réussir vraiment ?
Chercher à me faire expliquer le métier durant une heure plutôt que d’expliquer la méthode durant 5 minutes. Saisir la première occasion opérationnelle concrète qui passe (gemba) et la résoudre ensemble. Utiliser moins d’outils lean mais à meilleur escient, et surtout faire du kaizen chaque jour plutôt que des formations prechi-precha en salle.
En fait je m’y prends mal, j’ai longtemps négligé l’essentiel, qui est “invisible pour les yeux”. L’essentiel, c’est : en quoi ce sujet est-il important pour vous ? Pour le client ? Pour l’entreprise ? Que se passe-t-il si on ne fait rien ? Pourquoi ?
Et que dois-je changer dans ma manière de faire à moi pour donner envie à l’autre d’essayer de faire autrement ? Si l’élève ne comprend pas, c’est à l’enseignant de trouver une autre voie, en s’intéressant réellement à ce qui est important pour l’autre. « On ne peut rien enseigner à autrui, on ne peut que l’aider à le découvrir par lui-même », Galilée.
3- Le mépris
Le mépris des méthodes déjà en place qui ne servent a rien, des personnes, des opérateurs ou agents qui se soumettent au système, des managers qui le font perdurer, des dirigeants qui ne comprennent rien à la vraie vie des équipes ou des clients.
Eh oui. J’ai pu croire que certains étaient comme cela. Surtout les managers en ce qui me concerne, j’ai mis du temps à comprendre que le manager, tout comme le client, est une vraie personne. Qui mérite exactement le même respect que chacun des membres de ses équipe. Car lui non plus n’est pas aidé par le système.
« Décidément ils ne comprennent rien à la magie du lean. Tout ces efforts pour quoi au final ? A quoi bon remonter une fois encore le rocher de Sisyphe ? ».
Il ne me restait plus qu’à changer, moi. De point de vue, sinon de métier. Le jour où le médecin ne supporte plus ni ses malades ni leurs maladies, il est mal barré. Et ses malades aussi.
De quoi suis-je tombé amoureux ? En vérité la question serait plutôt, en bon cœur d’artichaut que je suis, de quoi ne suis-je pas tombé amoureux ? De mes méthodologie lean ou agile, de DevOps ? De l’outil que je connaissais le mieux ? Du management visuel, des KPI, du 5S ? Du PDCA, du A3, du 8D ? Du one piece flow, du flux tiré, du kanban, du sprint ? Du MVP, du design thinking, du daily meeting ? Du standard, du TWI, du Nemawashi ? Du bac rouge, de l’andon, du poka yoke ? Ou bien du gemba, de la Maison Toyota, du Heinjunka ? De la qualité, du NPS, des rétrospectives ? Du Japon, de mon sensei, des résultats opérationnels époustouflants obtenus ? Ou peut-être du lien que j’ai créé avec certains de mes interlocuteurs ? De la reconnaissance que certains ont pu m’exprimer ? De la tribune que m’ont offert conférences et séminaires ? Ou bien encore de l’amélioration foudroyante des capacités, de la satisfaction des client et des collaborateurs ? Au final, des emplois que l’amélioration continue permet de maintenir en Europe face aux pays à bas coûts et très basse protection sociale ?
Tout cela c’est très bien, mais c’est mon moteur, ma récompense à moi.
Pas celle de la personne que je coache.
Est-ce que le temps que je lui demande est réellement utile à mon interlocuteur, ou bien sert-il à satisfaire mon propre ego ? J’ai souvent confondu le fait d’apporter mon aide avec le fait d’infliger mon aide, comme disait mon premier sensei (merci a toi Michael !). A grands renforts de slides ou de théorie, voire de focalisation sur mon sujet fétiche du moment (qui, comme l’amour fusionnel, ne dure que 2 ans).
Pour m’irriter du désintérêt que j’avais ainsi fait naitre. Pour me sentir atrocement frustré, personnellement remis en cause non seulement sur la pertinence de ma démarche mais pire encore, sur mes bonnes intentions.
“Nous sommes venus en amis !”. Ah oui ? A quoi est-ce que cette “amitié” se voit ?
Quelle est LA colline que je dois tenir, le bon problème à trouver, la question à poser ? Comment faire naître l’action qui va payer de suite ? Vous n’avez pas trouvé ? Continuez ! Demandez de l’aide ! Recommencez ! Ou abandonnez. En sachant pourquoi. Laisser rencontrer le mur est un excellent moyen d’en faire comprendre l’existence… Et revenez ensuite. Sans rien dire.
Proposez à chacun, un par un, de construire son espace-temps à lui et celui de ses collaborateurs, pour agir, sans faire désobéir, et faites reconnaître par le manager, le sponsor, le dirigeant, chaque réussite petite ou grande, mesurée avec des vrais chiffres, sans oublier la personne qui a fait le vrai boulot. Celle qui a mené a bien la résolution du problème et pas son chef….
Parmi les personnes que j ai accompagnées, ma réussite se mesure au nombre de celles qui ont retrouvé le sourire et la fierté de leur métier, aux équipes qui ont retrouvé le plaisir du travail collaboratif et de la performance, aux managers reconnus dans leur carrière professionnelle boostée, aux dirigeants dont l’entreprise décolle, à la montée en expertise de mes propres collaborateurs, au succès ou à l’insuccès de ma propre entreprise.
“Quiconque travaillera autant que moi fera aussi bien que moi”. Jean-Sébastien Bach
4-L’hubris
La plus dangereuse de toutes. Le moment où, devenu expert, je crois connaître par cœur le chemin. Ou plus rien ne m’arrête, pas même ma propre connerie ni mes loupés successifs. Je continue dans mes propres traces. Phase haute du cycle bipolaire.
La chute ? Je suis contre, tout contre.
“Failure is not an option”, disait la NASA avant Challenger.
Enfin libéré de la tutelle de mon sensei, je vais leur montrer moi ! C’est le moment o croyant tout réformer, j’abandonne tous mes standards bien rodés, tel ces vieux chanteurs sur le retour qui massacrent d’une voix éraillée les tubes de leur jeunesse. Le moment où je ne doute plus de rien, et surtout pas de moi-même.
“Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou”, disait Nietzsche.
Devenu aveugle, sourd et muet, seul un bel échec bien retentissant m’a ramené à la raison. A la modestie. Encore m’a-t-il fallu accepter de le reconnaitre comme tel, ce douloureux échec salvateur. Et d’en tirer pour moi-même ces quelques leçons durement apprises.
Une réflexion sur “Mes quatre montagnes sur le chemin du coaching : la peur, la colère, le mépris, l’hubris”